Les nouvelles technologies ont fait fortement évoluer les possibilités d’expression de la publicité. Revers de la médaille, elles ont renforcé les risques de confusion entre information et communication. C’est en quelques mots ce qu’a exprimé récemment le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP), instance associée à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Dans son dernier avis, publié fin 2018, le CEP dresse en effet le constat d’une difficulté accrue à délimiter et à identifier la publicité. Le métier même de l’industrie de la communication évolue et change avec l’essor des technologies numériques. Nous interrogeons Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP.
La data, les réseaux sociaux et les nouvelles techniques de brand content brouillent les pistes entre ce qui relève de l’information et de l’influence. Quelles sont les conséquences de ce constat ?
Dans l’absolu, ce constat n’est pas nouveau, il prend une autre dimension du fait du digital. Il a été dressé dès que la publicité a commencé à développer des contenus éditoriaux, ce qui au passage a permis de financer le formidable essor de la presse. On retrouvera cette bascule ensuite dans la radio, média gratuit par essence, et dans la télévision. Dès l’origine, cette difficulté à clairement distinguer les contenus de marques des productions des journalistes a été soulevée.
C’est bien pour cette raison que dès les années 1910 aux États-Unis et 1920 en Europe on a commencé à aborder ces sujets et à autoréguler le secteur. C’est pour cela que la notion de « publireportage » a émergé. A l’ère du digital, on retrouve cette nécessité de bien identifier la publicité dans les directives européennes.
Mais aujourd’hui le message publicitaire devient tentaculaire.
Oui, parce qu’en effet le nombre d’émetteurs a changé. Des personnes et des personnalités agrègent des audiences autour de leurs contenus. Et c’est bien parce qu’il y a des audiences que les marques s’y associent. Il est tout à fait légitime de s’associer à ces nouvelles communautés et audiences sur les plateformes et les réseaux sociaux. Mais cela ne signifie pas que l’on doit oublier le principe de loyauté à l’égard du consommateur.
Il faut que l’ensemble du corpus déontologique de la publicité soit respecté, à commencer par le fait de préciser qu’il s’agit d’une collaboration commerciale. Quand le contenu est promotionnel, il faut que cela soit clair pour tous. C’est le principe de la loyauté. C’est le cas pour le blogger et l’influenceur. C’est aussi le cas de la marque quand cette dernière trouve le territoire d’un média pour s’exprimer. Dès qu’il y a une influence éditoriale, on sort du cadre de ce qui est connu.
Prenez l’exemple du parrainage : c’est connu, c’est précisé. Il n’y a pas d’influence de la marque sur le contenu, pas de proéminence indue d’un produit. Même chose pour le placement de produits dans une œuvre: l’auteur peut légitimement citer une marque sans qu’il n’y ait contrepartie financière. Bref, que ce soit du sponsoring ou du placement de produits, ces derniers ne peuvent influer sur les règles du jeu. Quand les marques basculent sur la position de coproductrices du contenu, elles doivent être conformes et s’assurer qu’il n’y a pas d’ambiguïté.
Mais si les pistes sont brouillées, comme le constate le CES, n’est-ce pas la preuve que tous les acteurs ne respectent pas ces règles ?
Globalement, on a déjà passé cette étape-là. Dans un passé récent, les influenceurs n’osaient même pas avouer qu’ils avaient accepté une collaboration commerciale. Nous n’en sommes plus là. Mais il est vrai que des points d’amélioration persistent. On peut par exemple s’interroger sur si c’est bien précisé et au bon moment, si c’est bien explicite. Tout cela relève d’un apprentissage en cours.
Une des spécificités du digital est la voie de retour, qui est immédiate : une personne qui n’est pas contente le fait savoir tout de suite de manière publique. Cette forme de régulation par la communauté contribue fortement, même si elle ne suffit pas, ne serait-ce que parce qu’elle manque de contradiction. Dans les instances de régulation il y a un contrôle qui s’exerce, un jury indépendant recueille les plaintes et les traite pour faire du contradictoire. On ne peut pas vivre dans une société où seul le dernier tweet a raison. La marque, l’agence et l’éditeur doivent pouvoir s’expliquer. L’objectif est d’être dans une démarche de progrès.
Mais l’avis du CEP met en évidence une question d’ampleur, qui dépasse le seul sujet de l’identification. Il soulève l’enjeu des nouvelles modalités de l’influence et de la capacité du public à en percevoir toutes les dimensions. Cela semble assez grave, non ?
Le rôle du CEP est d’alerter au sujet du risque que cela comporterait si de bonnes pratiques, la bonne pédagogie et un bon contrôle n’étaient pas mis en place. Il est dans son rôle de demander au secteur de faire en sorte que l’autorégulation soit en capacité de maîtriser cela. Il se doit de dire aux concepteurs d’algorithmes que ce n’est pas parce que l’on peut tout faire techniquement que l’on va le faire. Mais ce n’est pas perdu pour autant.
C’est tout l’idée de l’éthique by design. Les grands principes déontologiques doivent demeurer. Ils ont été appliqués au marketing direct, il n’y a pas de raison qu’ils ne s’appliquent pas à Whatsapp. Quand on s’adresse au consommateur il y a des codes à respecter, rien de nouveau. Ce n’est donc pas parce que je suis un service de messagerie instantanée que je suis autorisé à mentir ou à ne pas dire qui je suis. C’est cela la loyauté, ce n’est que du bon sens.
Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre