Elle est une fine observatrice des nombreuses évolutions du programmatique en France. Marie Le Guével dirige à Paris Amnet, le trading desk du groupe Dentsu Aegis. A la tête d’une équipe de 35 personnes, elle est confrontée aux problématiques et aux besoins d’achat média d’environ 200 clients chaque année. Nous faisons avec elle le tour des quelques-uns des sujets qui ont le plus marqué l’industrie en 2017 et qui continueront de faire couler de l’encre en 2018: l’entrée en vigueur du Règlement général de protection de donnes (RGPD) vue par les acheteurs; la poursuite de la concentration du marché entre les mains des GAFAM; l’impact pour les annonceurs de l’adoption généralisée par les éditeurs de la méthode du header bidding ; enfin, l’état de la qualité des inventaires disponibles sur les ad exchanges en France.
RGPD
L’année 2018 démarre pour l’industrie avec l’échéance de l’entrée en vigueur du Règlement général de protection de donnes (RGPD). Vous achetez les campagnes pour le compte des annonceurs sur les ad exchanges, un environnement entière structuré autour d’impressions basées sur des cookies ou des devices ID. Qu’est-ce qui va changer pour vous? L’impact de ce règlement sera-t-il plutôt positif (avec, par l’exemple, la promotion d’une plus grande transparence entre l’industrie et les utilisateurs) ou plutôt négatif (les utilisateurs risquant de refuser plus facilement le partage de leurs données)?
Le sujet est en effet d’actualité. Si on replace le contexte de manière plus générale, ce dont on parle ici, c’est d’abord de la relation de confiance entre l’utilisateur et la publicité. Et mieux connaître, c’est mieux comprendre et mieux accepter. Ce qui peut donc s’apparenter à première vue comme une contrainte, sera peut-être finalement la condition et l’opportunité d’un développement publicitaire digital plus important et plus durable sur le long terme. Ce que change le règlement en réalité, c’est avant tout l’approche. Avant, il fallait en quelque sorte, que la non-conformité soit prouvée pour être potentiellement sanctionnée. Aujourd’hui, il s’agit au contraire pour les entreprises de pouvoir prouver positivement et au quotidien, que tout a été mis en œuvre pour être en conformité avec le RGPD. Dans le détail, des notions déjà courantes sont confirmées et renforcées comme l’information et le consentement de l’internaute, les modalités de traitement des données à caractère personnel, le droit à l’effacement (« droit à l’oubli »)… d’autres sont nouvelles comme la documentation des actions relatives au traitement de la donnée personnelle, la mise en place de procédures internes garantissant la protection des données à tout moment, la désignation d’un DPO (Data Protection Officer), la portabilité des données…
De notre côté, nous avons déjà renseigné et validé un grand nombre d’étapes auprès de nos partenaires technologiques pouvant collecter et traiter de la donnée personnelle. Même si nous n’en traitons pas directement, le principe de co-responsabilité étant au cœur du règlement, il impose à tous un engagement et une action positive à entrer ou faire entrer l’ensemble de ses partenaires en conformité. Pour en revenir aux cookies ou aux devices ID, ils peuvent bien être considérés comme des données personnelles. Mais attention, « données personnelles » ne veut pas dire qu’on ne peut pas les exploiter à des fins publicitaires, cela implique simplement que l’utilisateur soit informé et ait donné son consentement explicite et univoque au préalable. Enfin, il est important de noter que toutes ces règles liées aux identifiants digitaux seront précisées dans un autre règlement à venir certainement fin 2018, début 2019: le règlement ePrivacy.
« Données personnelles » ne veut pas dire qu’on ne peut pas les exploiter à des fins publicitaires, mais que l’utilisateur soit informé et ait donné son consentement explicite et univoque au préalable.
Prédominance des GAFAM
Les derniers chiffres diffusés sur le marché français de la publicité digitale confirment une captation encore plus forte par les GAFAM des investissements – 71% des montants investis par les annonceurs sont alloués à Google et à Facebook. Les annonceurs participent de cette dynamique puisque ce sont bien eux qui décident où placer leurs investissements. En même temps, ils recherchent les audiences que ces acteurs parviennent à concentrer. Ce sujet est complexe. Comment l’analysez-vous?
On ne peut pas ignorer cette tendance qui est sans doute la plus significative du marché publicitaire digital, car beaucoup d’évolutions y sont finalement très liées (la croissance du programmatique, de la vidéo, du social, du mobile…). Dans l’absolu d’ailleurs, il faut reconnaître que leurs solutions sont très attractives: facilité d’accès et d’adressabilité, reach hyperpuissant, audiences engagées, nombreuses possibilités de ciblages, performance des dispositifs. C’est aussi ce qui fait leur succès auprès des annonceurs – et ce, malgré les polémiques récurrentes au sujet de la mesure des audiences, de la brand safety ou encore des mesures tierces. Mais au-delà de la publicité, le sujet questionne bien d’autres dimensions plus larges et sociétales. L’important selon moi, quels que soient les acteurs en présence, c’est surtout de pouvoir continuer de garantir les conditions de la concurrence, ainsi que l’application équitable des réglementations.
Essor du header bidding
Les éditeurs adoptent des stratégies diverses pour assurer leur monétisation en dehors des GAFAM. L’année 2017 a été témoin de l’essor spectaculaire de l’adoption du header bidding, une méthode qui permet d’augmenter la concurrence autour d’une même impression et de potentiellement optimiser la valorisation de ses inventaires. Cette technique est-elle saluée par les acheteurs? Ne pose-t-elle pas de problèmes de coûts supplémentaires pour les DSP, voire pour les annonceurs?
Cette technique n’est pas tout à fait nouvelle en réalité, mais nous la soutenons. Contrairement aux idées reçues, le prix seul importe peu, ce qui nous intéresse c’est la qualité et la performance du contact publicitaire. La concurrence est toujours saine et permet de faire les meilleurs choix, pour l’éditeur comme pour le trading desk, ce sera donc bénéfique aux campagnes de nos annonceurs. D’autres techniques ont bien aidé pendant des années, comme le « pass-back » (ou « waterfall ») mais n’étaient ni vraiment idéales ni vraiment démocratiques. Pourquoi par exemple, privilégier une demande directe, si celle-ci n’est pas prête à valoriser autant un contact publicitaire qu’une demande programmatique? Au final, ce n’est que justice :). Notre sentiment est donc positif et supportif. Sur le long terme, il sera surtout intéressant pour nous d’analyser l’impact de la généralisation de ces pratiques sur la qualité et la performance de nos campagnes.
Qualité et transparence
Derrière la multiplicité d’acteurs et des tuyaux de l’achat programmatique, avez-vous constaté une amélioration de l’offre sur les ad exchanges en 2017 en matière de transparence, de brand safety, voire de réduction de la fraude? Est-ce que la nouvelle année pourra capter les bénéfices générés par des actions mises en place en 2017 par l’industrie dans son ensemble?
C’est difficile d’analyser l’offre dans son ensemble, tellement nous ne l’envisageons qu’au travers de filtres qualitatifs de notre côté et ce depuis le lancement d’AMNET. Jamais nous ne prenons le risque de diffuser une campagne sans précaution de diffusion et de brand safety. On lit depuis des années des articles sur la non-visibilité des bannières en programmatique, la fraude, le manque de contrôle de la diffusion, etc. Mais tout ceci est en réalité, bien filtrable, programmable, optimisable. Bien sûr si on ne prend aucune précaution on s’expose à des risques, mais aujourd’hui l’intégration de bonnes pratiques (et d’outils) en programmatique permet un contrôle rarement égalé jusque-là. Et même si les éditeurs doivent s’assurer de la meilleure qualité de leurs inventaires, c’est aussi la responsabilité du trading desk selon moi, que d’appliquer ces bonnes pratiques.
Questions formulées par Luciana Uchôa-Lefebvre