Tamedia, le plus grand groupe de presse suisse fondé en 1893, éditeur notamment du quotidien zurichois Tages-Anzeiger et des publications en Suisse romande Le Matin, le Matin Dimanche, 24 heures, Tribune de Genève, 20 Minutes, Bilan, n’échappe, lui non plus, à la monétisation programmatique de ses actifs digitaux (20minuten.ch, Newsnet et search.ch), lancée cet été sous la houlette de Rui de Freitas, responsable de real time advertising et de yield management. Interview.
Racontez-nous vos premiers pas dans l’univers du programmatique.
Tamedia a décidé de lancer une phase pilote en programmatique en août 2014 en testant la technologie d’Improve Digital. La décision a été prise de centraliser la compétence pour tout le groupe, car chacun de nos acteurs avait besoin d’être accessible en programmatique. Nous avons décidé de partir sur une stratégie transparente, afin de valoriser nos marques et d’en tirer des CPMs plus élevés. L’avantage sur le marché suisse est que la plupart des grosses agences médias n’investissent pas ou peu au travers de DSPs et que cela nous permet d’évoluer ensemble afin de trouver le meilleur moyen de travailler ensemble. Nous avons commencé uniquement avec le desktop et étendons maintenant notre offre au mobile et à la vidéo.
Entre ce qui passe en programmatique et ce qui reste du ressort de la régie, pouvez-vous nous dresser un portrait de la situation en ce début d’année 2015 en termes de volume d’inventaire, de format (standards IAB ; rich media, mobile, vidéo…) ainsi que de revenus générés (% programmatique/vs régie) ?
Concernant le volume d’inventaire, tout ce qui n’est pas réservé par la vente directe en volume garanti passe par nos SSP avec la plupart de nos formats IAB et plus gros comme Billboard ou halfpage. Concernant les revenus générés, cela dépend énormément du type de site. Nous tablons sur 10%-15% pour 2015 avec nos sites de news et 30-40% pour nos sites de services. A moyen terme, 50-60% de l’ensemble de notre inventaire sera probablement vendu via nos SSP.
En juin vous aviez annoncé une collaboration avec Improve Digital, puis en septembre, c’était le tour de Mediahead. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mediahead est un plug-in AppNexus du côté DSP. Il s’agit d’une interface qui va permettre aux agences ou annonceurs de facilement créer leurs stratégies d’achats qui seront ensuite automatiquement poussées dans le DSP. Nous avons pensé qu’il pourrait s’agir d’une opportunité intéressante d’avoir des stratégies prédéfinies dans Mediahead dédiées à l’inventaire de Tamedia. Ainsi nos annonceurs peuvent facilement acheter de l’inventaire Tamedia qui leur offre la qualité à laquelle ils sont habitués. Nous n’accordons aucun avantage commercial à Mediahead pour cela et il ne s’agit que d’une intégration de nos produits dans leur interface utilisateur. L’achat se passe toujours via notre SSP.
Avec quelques mois à peine depuis le lancement quelles sont vos premières impressions, constats sur la gestion de votre inventaire (commercialisation d’invendus ?, valorisation du CPM ? hausse de revenus ?) ? En gros, les annonceurs sont-ils au rendez-vous ?
Nous avons débuté avec des CPMs élevés pour du RTB traditionnel qui restent cependant relativement bas pour le marché suisse du display. Selon la stratégie de chaque site, nous avons des expériences très différentes. Sur des sites de services comme search.ch ou doodle.com, le but étant d’augmenter notre fill-rate et d’optimiser alors que pour nos sites éditoriaux comme 20min.ch ou tagesanzeiger.ch, l’idée est de maintenir nos prix élevés et de générer la demande à travers la vente. Même si au départ nous avions principalement du retargeting sur ces sites-là, nous avons maintenant une forte croissance d’annonceurs ou d’agences qui s’y investissent de plus en plus. La croissance est chaque mois au rendez-vous et nous allons éventuellement dépasser nos attentes 2015 à ce rythme-là.
Quel est le panorama du marché du programmatique en Suisse ?
Au niveau des agences média en réseau (GroupM, OMD, etc.), il y a peu d’investissements qui se font en ce moment. Probablement car ces acteurs misent sur la qualité du média et ne sont que très peu orientés à la performance. Il aura alors fallu qu’un éditeur majeur décide de proposer son inventaire pour les convaincre. Tamedia voulait donc être le premier acteur à faire un pas clair dans cette direction de manière très ouverte et transparente. Les retargeters et trading desks à l’étranger sont toujours une majorité des revenues même si cet écart diminue très rapidement. Dans 3 mois ce ne sera probablement déjà plus le cas.
De quelles compétences disposez-vous en interne en matière de programmatique ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour faire changer vos équipes ou pour trouver les compétences nouvelles ?
Nous avons commencé à engager des profils avec de l’expérience du RTB afin de mettre en place un pôle de compétence pour le groupe et de transmettre cette connaissance en interne à tous les niveaux (product management, ad operations, sales ….). La difficulté est de trouver des profils qui maîtrisent le sujet tout en ayant une connaissance profonde du marché suisse afin de nous permettre de développer une stratégie cohérente avec notre marché. Il faut aussi que ces profils aient une connaissance des trading desks à l’international en plus de la maîtrise de différentes langues. Il n’est donc pas évident de créer une équipe qui puisse être effective immédiatement. Nous devons former et enrichir les connaissances du personnel existant.
Votre optique avec le programmatique est-elle purement liée à une offre de branding ? Pourquoi ne pas commercialiser la totalité de votre inventaire ? Qu’est ce qui justifie des prix plancher de plus de 30$ le CPM pour des formats IAB standards ?
Notre offre est essentiellement liée à du branding et nous n’avons que très peu de produits à la performance (même en direct). Du reste, nous intégrons petit à petit l’ensemble de notre inventaire mais nous développons une stratégie pour chaque marque média et nous le faisons de manière transparente pour ne pas perdre la valeur de ce qui nous rend désirables. Les prix planchers peuvent être très élevés dans certains cas, mais ils sont au minimum 48% en dessous des prix médias habituels. S’il s’agit de site très spécifique comme d’un environnement purement féminin, le prix plancher sera très élevé, car l’offre proposée est très similaire à l’offre de la vente directe. Nous devons donc garantir nos revenus et nous n’accordons donc qu’un rabais modéré pour le gain en efficacité.
On a l’impression qu’en Suisse on n’est pas passé par la case monétisation d’invendus et que vous avez adopté d’emblée le programmatique direct. Est-ce vrai ? Quelles sont vos ambitions pour 2015 en matière de programmatique ?
L’intention des éditeurs a rarement été de monétiser les invendus. L’idée étant de ne pas valoriser les produits blind qui sont vendus pour des CPMs bas et s’oriente vers la performance. Le display n’a donc jamais été utilisé pour de la performance sur notre marché. Il va de soi que le programmatique ne change rien à la donne et que nous orientons notre offre programmatique vers des produits de qualité avec des formats impactants avec de forts taux de visibilité.
Que pensez-vous des places de marché qui se lancent spécifiques aux publicités natives ? Comment vous positionnez-vous là-dessus (programmatique ou vente directes) ?
Certains de nos sites font actuellement des tests et nous attendons d’en tirer des enseignements afin de décider. Personnellement je pense que les places de marché ont un impact négatif sur la transparence et les acheteurs ne savent jamais trop ce qu’ils achètent…
Envisagez-vous les places de marché privatives ?
Nous pouvons envisager des places de marché privatives avec des annonceurs spécifiques qui garantissent un certain revenu pour le groupe ou un site afin de leur permettre d’accéder à une plus grosse quantité d’inventaire, mais globalement tout ce qui court-circuite le yield de base ne nous est pas bénéfique et nous avons tendance à l’éviter.
On se plaint du manque d’inventaires sur les places de marché privatives, malgré leur succès, et on les déconseille pour des stratégies de performance. Etes-vous de cet avis?
Je ne suis pas expert du côté annonceur mais j’imagine qu’en termes d’optimisation ce ne soit pas le meilleur moyen même si ça peut être un levier intéressant au niveau du volume.
Parlons un peu technologie. Sur les différents écrans, vous êtes en test avec plusieurs DSP. Pouvez-vous nous raconter vos problématiques et vos critères de choix ?
Il est difficile de trouver une technologie unique qui puisse gérer le desktop, le mobile et la vidéo. Nos critères de choix sont les suivants :
– Connectivité avec les technologies de nos agences
– Intégration rapide de nouvelles fonctionnalités/technologies
– Ouverte en API afin d’intégrer nos systèmes internes
– Efficace dans l’utilisation et l’UI
– Compatibilité avec notre stratégie (orienté Premium publishers)
– Flexibilité au niveau des formats
– Eventuellement la possibilité d’avoir un impact sur la roadmap de développement
Afin d’être sûrs de faire le meilleur choix technologique nous partons du principe que nous devons tester les différentes technologies en parallèle afin d’évaluer nos critères à l’interne mais également discuter avec nos différents acheteurs afin de connaître leur opinion concernant toutes ces technologies. Nous choisirons notre technologie de base uniquement s’il s’agit d’une technologie qui convient également à nos acheteurs et qui ne leur complique pas la vie.
Avez-vous intégré à votre offre des éléments lui conférant plus de valeur ? Lesquels ?
Pas encore.
Avez-vous investi dans une DMP ? Si oui, avec quel fournisseur de technologie ? Est-ce un pas difficile ? Conseillez-vous cette solution ou pas ? Si non, comment faites-vous pour explorer les données de votre inventaire ?
Nous sommes actuellement en cours d’évaluation de différents DMP. Ce n’est pas un pas difficile mais une intégration complexe pour offrir une bonne data.
Sur la partie CRM, de quel type de données disposez-vous et comment les utilisez-vous?
Au niveau CRM nous possédons un assez grand nombre de données comme, par exemple, les données de login (paywall de site de news, site e-commerce, site de petites annonces, …) mais aussi des données d’intentions comme avec le planificateur Doodle.com ou le portail de page jaune search.ch. Nous n’avons pas encore décidé de quelles données seront utilisées, ni comment nous allons l’utiliser. Ce qui est sûr c’est qu’il n’y aura pas d’offre de donnée pure en standalone.
Quel est d’après vous le rôle de la data désormais pour la monétisation de votre inventaire ?
Il sera déterminant pour permettre à nos annonceurs de mieux toucher leurs cibles et de mieux adapter leur message. Si nous parvenons à créer de la valeur pour nos annonceurs, alors le rôle de la data sera effectivement d’augmenter nos CPM moyens.
Et quel impact avez-vous déjà pu observer ?
Nous constatons des revenus supplémentaires sans avoir le moindre impact sur nos ventes directes malgré une offre de produits assez similaire en programmatique.
Quels sont vos projets et priorités pour 2015 ?
Nous travaillerons à l’intégration de tous nos sites et au développement de notre offre data. Nous envisageons ensuite divers partenariats au niveau de la data ainsi que du développement de nouvelles offres (éventuellement pour de la performance) ainsi qu’une harmonisation de nos publicités natives.
Luciana Uchôa-Lefebvre et Pierre Berendes