La montée en puissance de la vidéo en ligne a continué de s’intensifier en 2017, des réseaux sociaux qui cherchent à produire des contenus natifs à la consommation de plus en plus importante de vidéos sur mobile, de l’essor des plateformes de streaming aux nouvelles alternatives de monétisation en ligne déployées par les chaînes classiques, qui se sont emparées elles aussi du mobile et de l’OTT. C’est ainsi que l’on entend parler de plus en plus de convergence entre les écrans de télévision classiques et le digital et que l’on observe la migration des budgets publicitaires du linéaire vers le numérique. Nous faisons le point de ces questions avec Nicolas Mignot, directeur de comptes clés, ventes et solutions à FreeWheel (Comcast), fournisseur de solutions de monétisation aux chaînes de télévision.
Dans un contexte où tout le monde évoque la « convergence » des environnements de diffusion (et de monétisation) des contenus vidéo, et que les jeunes ne regardent plus la télé linéaire, où peut-on encore placer la télévision « classique »? Comment mettre en place une stratégie omnicanal et mesurer l’impact de ses campagnes dans ce contexte de mutation des habitudes de consommation?
Il y a des audiences jeunes en particulier qui n’utilisent plus la télévision comme nous l’avons fait. Elles regardent la télévision sur d’autres écrans (mobile, tablette, ordinateur, télé connectée), sur le web, sur des applications, tout dépend de comment le contenu est distribué, des choix des broadcasters. Ces derniers peuvent décider de diffuser leur contenu au sein de leurs applications ou de le laisser en libre accès sur leur site web. Ce ne sera d’ailleurs jamais totalement libre, parce qu’il faut s’inscrire, se connecter, il faut être reconnu par la chaîne et c’est ce qui permet à la chaîne d’entretenir une bonne expérience télévisuelle ailleurs qu’à la télé.
Si on regarde le marché français, on voit que, dans les foyers, les enfants sont chacun avec son écran sur YouTube, sur des applications type MyTF1 ou M6Play ou autre, sur Snapchat en train de consommer des vidéos, et que les parents sont sur la box. La télé linéaire existe-t-elle encore?
Oui, elle existe encore. Il est vrai que la box a changé beaucoup de choses chez les ménages. C’est d’abord l’apport d’internet qui permet de connecter plein d’objets, dont la télévision, et donc beaucoup de gens passent désormais par là. Mais tout le monde n’a pas encore accès à cela en France et il y a aussi des gens qui regardent la TNT, qui est basée sur une diffusion satellite devenue numérique. La TNT permettra, elle aussi, de faire passer des applications et de l’interactivité, à partir du moment où le matériel va évoluer. La télévision classique est toujours là, et elle va devenir plus interactive elle aussi.
Tous ces contenus dont on vient de décrire rapidement les modes de consommation et de diffusion peuvent-ils être rassemblés par la chaîne pour leur monétisation?
Oui absolument, ça démarre en ce moment, des expériences sont menées un peu partout. Les chaînes de télévision se sont aperçues qu’elles avaient un incrément d’audience grâce à ces nouveaux écrans. Ces terminaux créent une couverture additionnelle parce qu’il y a plus de gens qui accèdent différemment à la télévision et aux programmes. Les chaînes réfléchissent et essayent de packager leur inventaire ayant comme socle la data.
On capte les données des utilisateurs à partir de leur navigation sur le site ou l’application?
À partir de leur présence sur les programmes. Les chaînes télé demandent une inscription pour pouvoir accéder au replay, à la vidéo à la demande, etc., ce qui permet de collecter de la data, d’avoir des informations nouvelles et de compléter ce que l’on faisait en télévision linéaire classique avant.
Vous êtes un fournisseur de solutions de monétisation au service des chaînes de télévision. Comment tout cet inventaire connecté est-il monétisé aujourd’hui? Est-il possible de tout intégrer dans une logique de monétisation automatisée basée sur des impressions et sur la data et donc d’expérience publicitaire personnalisée ou personnalisable?
Il y a une démultiplication des contenus mais il y a aussi différents niveaux de qualité de contenus et ces différentes qualités génèrent des engagements de la part des audiences qui sont très différents. L’exposition à un contenu vidéo qui dure 15 minutes ou 3 minutes sur YouTube ou Facebook et à un contenu long de deux heures sur une chaîne ne correspond pas du tout à un même contexte et entraîne des effets très différents en termes d’efficacité publicitaire. Ceux qui génèrent des engagements se situent plutôt du côté des professionnels qui produisent du contenu, chez les broadcasters.
Vous voulez dire que les vidéos éphémères et autres contenus vidéo que les réseaux sociaux diffusent ou cherchent à produire ne sont pas « à la hauteur » des productions des chaînes?
C’est exactement cela. L’efficacité publicitaire n’est pas du tout la même. De plus, une chaîne de télévision maîtrise généralement complètement sa distribution (sur une plateforme vidéo, sur le site ou l’application de la chaîne, sur une télévision connectée, etc.). Ce n’est pas du tout le cas d’une petite vidéo de 3 minutes virale qui circule de partout et dont la distribution n’est pas du tout maîtrisée. Dans ce cas il y a des chances que l’on épuise la campagne et l’annonceur et que l’on n’atteigne pas ses objectifs, sans parler des questions de brand safety.
Si on revient à la monétisation programmatique, Freewheel en France veut se concentrer sur la proposition de solutions de direct garanti. Vous n’êtes donc pas dans une logique de RTB ou d’enchères, c’est là une façon très fermée de monétiser, à travers des accords directs. Pouvez-vous nous en dire deux mots?
La vente directe est toujours très présente parce que c’est le modèle initial de la télévision. Les chaînes présentent aux annonceurs en amont leurs grilles des programmes prévus pour une année. Cela offre aux marketeurs une visibilité sur toute l’année et sur toutes les cibles potentielles qu’ils pourront toucher à travers ces programmes. Le modèle est donc de faire de la vente « upfront » c’est-à-dire à l’avance: on choisit et on commande ses emplacements très à l’avance. Cela s’est appliqué au digital. En programmatique en revanche, c’est très différent. On peut se permettre d’être aux enchères. Dans le programmatique garanti, on peut donc garantir soit le volume, soit le prix, soit les deux. La différence est que cela passe par des enchères, par une compétition entre différents acheteurs, quoi qu’il arrive.
Même si le prix est garanti?
Oui. En fait, les systèmes sont suffisamment intelligents pour déterminer qu’il y a de la place pour tel acheteur, telle campagne ou tel volume. Cela donne aux chaînes les moyens de négocier avec les agences des accès privilégiés aux enchères, qui auront été pré-négociés. Pour l’inventaire qui reste disponible, on met en place des enchères plus ouvertes avec le reste du marché.
Cela représente à peu près combien comparé au direct? Et cela se fait à quelle périodicité?
Cela se fait au mois, voire au trimestre, car il y a une grille des programmes à respecter. Pour les chaînes de télévision européennes la part du programmatique varie de 15% à 50% du chiffre d’affaires. Dans certains pays, c’est très présent parce que cela fait partie d’un deal global dès le début de l’année. Dans d’autres, cela se passe sur des périodes plus courtes. Mais c’est en progression. La moyenne est de 25% en Europe.
Quel est le challenge pour vous aujourd’hui en France?
C’est d’avoir une unité de mesure qui devienne commune à la télévision linéaire et à la télévision digitale.
Je croyais que Médiamétrie proposait cela déjà, non?
Ils le font mais d’une façon qui ne satisfait pas complètement les chaînes. On a ce défaut de s’inspirer des KPI digitaux. On parle d’utilisateurs, de contacts. Derrière une télévision connectée on peut avoir plusieurs personnes. Il faut arriver à trouver une monnaie pour traduire tout cela de façon unifiée. C’est donc la prochaine étape à atteindre.
On en est encore loin?
On n’est pas très loin parce qu’en France nous avons la chance d’avoir 20 millions de foyers connectés et les chaînes en sont parfaitement conscientes. Il y a un vrai gain à trouver, une unité de mesure commune pour poser de façon correcte cet incrément de couverture, les gains que la télévision connectée peut apporter quelle qu’elle soit pour les annonceurs.
Nous avons parlé de la monétisation par la publicité. Mais comptez-vous aussi proposer d’autres solutions pour les chaînes qui s’intéressent à d’autres modèles économiques?
Nous avons une société sœur dans le groupe qui le propose. Les chaînes peuvent monétiser leurs contenus par l’abonnement, au filme, par la vente de tout ou partie de l’inventaire directement. On peut aussi mixer les modèles avec celui de la publicité. On mettra en place ce type de service dans les mois qui viennent!
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre