Début 2018, Media.Figaro et Le Monde Publicité annonçaient avoir mis fin à leur collaboration avec plus d’une dizaine de partenaires technologiques depuis leur rapprochement au sein de l’Alliance Skyline. Une décision prise à la fois dans l’optique d’améliorer la qualité de l’expérience utilisateur de leurs sites et de reprendre le contrôle sur leurs inventaires, deux éléments que l’activité programmatique avait peu à peu affecté. Résultat : au bout de quelques mois, les deux éditeurs enregistraient +50 % de chiffres d’affaires.
Reprendre le contrôle de son activité publicitaire semble donc pouvoir être une stratégie gagnante mais est-ce vraiment le cas pour tous les éditeurs ? Est-ce aujourd’hui une tendance ?
Après avoir travaillé une douzaine d’années au sein d’entreprises du digital, Pierre Moustrou, Directeur Commercial chez Vice dirige aujourd’hui l’équipe en charge de la monétisation de ce média gratuit non logué dont le business model repose essentiellement sur la publicité. Nous avons eu l’honneur de l’interviewer afin de recueillir son avis sur la stratégie des deux éditeurs.
En tant qu’éditeur, quel est votre point de vue sur la stratégie de Media.Figaro et Le Monde Publicité et êtes-vous dans cette même démarche chez Vice ?
P.M : Je trouve cette envie de reprendre la main légitime. Il s’agit avant tout de récupérer de la valeur et ensuite le savoir-faire et l’expertise. Néanmoins, il ne faut pas s’engouffrer tête baissée dans cette démarche si l’on ne dispose pas des ressources nécessaires. Le Monde et Le Figaro ont des équipes importantes dont des experts sur ces sujets qui peuvent maîtriser ce type de décision. En France, des entreprises telles que La Place Media (Audience Square) et beaucoup d’autres ont fait du bon travail pendant un certain temps. Il ne faut pas se précipiter, c’est un changement qui doit se faire au bon moment. Selon moi, c’est une décision sensée dans leur cas. En revanche, pour les petits éditeurs qui n’ont pas un effectif suffisant, ce serait une mauvaise idée.
Chez Vice, nous ne sommes pas exactement dans la même configuration n’étant pas un média français. En tant que média international, présent dans plusieurs pays et dirigé par New York, nous ne pouvons pas réellement faire de comparaison avec Le Monde et Le Figaro à notre échelle. Cela fait effectivement plusieurs mois et années qu’aux US, cette récupération de savoir-faire et de valeur a déjà eu lieu. En ce qui concerne Vice France : nous avions fait un test avec Audience Square il y a 3 ans. Test qui a vite été remis en question car l’international était d’ores et déjà dans cette optique de prise d’indépendance. Aujourd’hui Vice gère en direct et a repris la main sur la gestion de la monétisation de A à Z. Nous avions initialement très peu de partenaires et aujourd’hui nous en avons de moins en moins.
Comment réagissent les fournisseurs de technologies face à votre démarche ?
Je pense qu’ils ne peuvent pas lutter contre l’inéluctable et qu’il s’agit d’une simple question de temps.
Pour survivre, ces partenaires doivent faire preuve de flexibilité et d’inventivité afin de transformer leur business model et leur positionnement, en passant d’un rôle d’opérateur de monétisation à un rôle axé sur le conseil et l’accompagnement. Il me semble qu’une partie d’entre eux est assez lucide vis-à-vis de ce sujet. Certes, cela représente un manque à gagner mais ils sont conscients qu’une évolution est nécessaire.
Les deux éditeurs de l’alliance Skyline veulent mettre un terme aux inconvénients qu’ils ont jusqu’à lors rencontré avec la vente programmatique : une visibilité amoindrie sur la diffusion publicitaire, la baisse de leur CPM et les problèmes liés à l’expérience utilisateur. Etes-vous dans cette même optique ?
L’un des piliers de notre monétisation c’est la « réclame ». C’est un terme un peu désuet mais qui illustre bien la situation dans laquelle nous sommes actuellement. La bannière clignotante qui génère encore aujourd’hui d’importantes part de revenus de bon nombre de supports et médias mais qui ne fonctionne que sur quelques cibles et communautés extrêmement précises. On ne peut pas en dire autant à grande échelle.
L’avantage, et à la fois l’inconvénient du digital, c’est que l’on peut tout mesurer. Or, il est difficile de tenir des niveaux de ROI : une des raisons pour lesquelles les CPM baissent.
L’enjeu c’est plutôt de réinventer la publicité de manière à l’intégrer correctement et à arrêter de faire clignoter des bannières qui disent « cliquent ici, le produit n’est pas cher ». Chez Vice, nous avons tendance à dire qu’il faut créer l’émotion et l’expérience (« content first ») avant d’inciter les internautes à acheter de manière intempestive.
Je prends souvent l’exemple de l’industrie du tourisme qui n’a pas encore compris ce principe alors qu’elle est très ROIste et qu’elle a beaucoup de choses à raconter : nous sommes exposés à des « Paris-Barcelone à 19 € ou 39 € » tous les jours. Or, si un individu n’a rien à faire à Barcelone, même si on lui proposait d’y aller gratuitement, il ne s’y rendrait pas.
La réclame est morte ou très secondaire dans l’acte d’achat. Il faut initialement créer la préférence de marque et susciter l’envie. Il faut donc créer du contenu.
Dans ce contexte, quelle place accordez-vous aux formats natifs ?
Il est primordial de s’appuyer sur le native. Dans ma précédente entreprise, nous avions des emplacements natifs sur notre site. Nous avons fini par les céder à des retargeters qui souhaitaient acheter notre emplacement natif en first look pour finalement y voir des bannières incohérentes avec le fondement même du native.
Il ne faut pas galvauder le native : le native c’est du contenu et il faut lui redonner ses lettres de noblesse sans prendre la promo pour du contenu et le contenu pour de la promo. Ce sont des objectifs différents. Le native oui, mais le vrai, incluant du contenu qui a du sens.
Propos recueillis par Stéphanie Silo