S’intéresser à la fraude sur le marché de la publicité en ligne suppose aussi, voire avant tout, aller chercher les explications et points de vue d’acteurs qui le pratiquent, et non seulement les fournisseurs de solutions de lutte contre la fraude. Éditeurs, régies, agences et trading desks, sans parler des plateformes DSP et SSP et des places de marché elles-mêmes, sont sur le devant de la scène en la matière et doivent s’y impliquer de plus en plus pour chercher des solutions qui puissent, sinon éradiquer, du moins minimiser le phénomène.
La parole aujourd’hui à Edgar Baudin, co-fondateur du groupe Makazi, qui opère à la fois côté data (avec leur DMP propriétaire) et côté média (avec leur trading desk) des campagnes de branding et à la performance et notamment l’achat d’impressions publicitaires sur les places de marché, en mode programmatique.
Vous réalisez quotidiennement l’achat d’espaces publicitaires pour display et vidéo sur desktop et mobile pour le compte de vos clients annonceurs. Des études et analyses rendent compte de deux véritables fléaux au sein des places de marché publicitaires : les fausses impressions et l’absence de visibilité. Parlons tout d’abord de la fraude : une proportion alarmante d’impressions facturées aux annonceurs ne serait jamais vue par de vrais internautes, mais par des robots. Quelle est votre analyse de l’ampleur véritable de ce phénomène ? Et à qui la faute d’après vous ?
L’ampleur du phénomène est, sans outil et sans optimisation du cadre de diffusion, assez considérable oui. La faute vient principalement des vendeurs qui devraient être plus pointilleux avec les publishers (sites supports) qu’ils intègrent dans leur inventaire.
Vous sentez-vous concernés ou menacés par des fraudeurs ?
Nous l’avons été oui – surtout au début –, puis nous avons depuis pris les mesures nécessaires pour s’en prémunir, notamment via des outils développés en interne et des partenaires externes. Nous le sommes encore parfois, heureusement de manière anecdotique.
Est-ce une question évoquée par vos clients annonceurs ?
Bien sûr ! Les annonceurs veulent être rassurés et sentir que leurs campagnes RTB sont livrées dans un environnement sain. Ils veulent être rassurés et comprendre concrètement les enjeux.
Quelles sont les fraudes que vous pouvez/avez identifiées et comment faites-vous pour anticiper ces problèmes ?
Les principales fraudes sont les robots cliqueurs, avec pour conséquence des taux de clics très anormaux ou des livraisons sur des IP étrangères (au pays de diffusion prévu), et des placements avec un taux de visibilité de 0% – qui sont donc également frauduleux car non vus par les internautes.
Pensez-vous vraiment que la solution des listes noires sur les ad exchanges suffit à régler ce problème ?
Avec une attention de tous les jours des équipes trading, cela règle les problèmes en grande partie oui, mais à posteriori. Notre longue expérience comme pionniers du RTB en France nous donne un historique très important sur ce sujet. Mais c’est insuffisant. Chez Makazi nous avons choisi Alenty, grâce à qui nous n’achetons plus d’impressions « fantômes ». Nous testons en parallèle d’autres acteurs de la lutte contre la fraude « robot », comme Adledge, Adloox et Forensiq, et avons renforcé nos outils propriétaires.
Est-ce que ce problème peut véritablement être résolu d’après vous ? Et comment ?
A l’heure actuelle le risque 0% n’existe pas, mais le marché est de plus en plus concerné et « agacé » par ces fraudes qui nous portent préjudice à tous : vendeurs, acheteurs, DSP, trading desks. La lutte est bien en marche.
Si vous aviez le pouvoir de dicter de nouvelles règles du jeu aux ad exchanges, que feriez-vous pour réduire la fraude ?
La solution serait de ne plus payer ou de demander réparation auprès des vendeurs (sellers) ayant signé avec des publishers frauduleux, car c’est de leur responsabilité. Il est quasiment impossible de se faire dédommager à l’heure actuelle. Aussi, nous avons donc fait le choix de ne plus travailler avec un grand nombre de sellers avec lesquels nous avons été confrontés à de la fraude (clics frauduleux et visibilité nulle). Puis nous les contactons pour leur expliquer notre choix, s’ils veulent être réintégrés aux campagnes Makazi ils devront montrer patte blanche et nous assurer leur bonne foi en s’engageant à nous rembourser en cas de nouvelle fraude.
Dans le cadre des places de marché en RTB, que peut-on faire pour limiter la fraude non pas a posteriori mais a priori ?
Des outils se développent pour régler le problème à priori, nous sommes actuellement en discussion avec certains d’entre eux. Nous avons également développé des briques technologiques propriétaires dans ce but, qui fonctionnent en temps réel (technologie Real Impact).
Pourquoi ne pas commencer à intégrer dans les ad exchanges les noms des vendeurs d’inventaire, en plus de leurs noms de domaine ?
Nous en serions ravis ! Actuellement très peu de noms de publishers sont disponibles, juste des IDs anonymes.
Un autre important fléau atteignant les places de marché est le manque de visibilité réelle des impressions servies : si l’on compare les différents chiffres de 2014 avec ceux de 2013 non seulement la visibilité comme la qualité des impressions (en termes par exemple de brand safety) sont en baisse (voir par exemple les chiffres d’Integral Ad Science). Est-ce un souci inhérent aux places de marché ouvertes ou pas ? Pourquoi ?
Ce problème concerne le display au global, pas seulement le RTB. Devant le succès du RTB et la demande grandissante, les publishers ont maximisé les espaces à vendre qui se sont développés et multipliés, faisant baisser le taux de visibilité. Chez Makazi (ex-Gamned!) nous avons pris ce problème au sérieux depuis 3 ans déjà en collaborant avec Alenty. Et nous sommes allés encore plus loin, en développant en début d’année un excellent outil en partenariat avec eux : Real Impact, qui nous permet de ne plus acheter (à priori) d’impressions en-dessous d’un certain seuil de visibilité (ou même efficacité) défini par nous, en général fixé à 40%. En bref, nous n’achetons plus d’impressions ayant un taux de visibilité en dessous de 40% et cela oriente fortement la nature de nos investissements, et nos relations avec les sellers. Nous exigeons le meilleur inventaire pour les annonceurs qui nous font confiance.
Et la fraude ? Serait-elle spécifique aux places de marché programmatiques ? Ou bien est-elle présente aussi dans les ventes directes ?
La fraude est spécifique au « blind » (achat d’inventaire en aveugle). Là aussi Makazi avance, et s’est équipé de Comscore afin de définir le cadre de diffusion le plus qualitatif et adapté aux campagnes de chacun de nos clients.
12. Quel conseil donneriez-vous à un annonceur pour lutter contre la fraude ?
Equipez-vous d’un outil analytics complet pour piloter vos campagnes sur les différents leviers, les outils gratuits ne sont pas suffisants.Travaillez avec des trading desks reconnus, qui vous offrent les garanties de transparence et les outils technologiques les plus avancés. En bref, avec Makazi !
Propos recueillis par LUL