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« La publicité concerne encore la majorité de l’audience en ligne de Libération » (interview C. Delpirou, SFR Presse)

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Libération avait annoncé à la fin de l’année dernière sa décision de supprimer tout tracker publicitaire pour ses abonnés numériques. Cela concerne environ 20 000 personnes à ce jour. La publicité  représente  15 % des recettes totales de Libération. Mais pour la majorité de son audience connectée  – le titre reçoit en moyenne 20 millions de visites par mois – le seul canal de monétisation demeure la diffusion publicitaire.

Nous démarrons aujourd’hui avec Clément Delpirou, directeur général de SFR Presse, une mini-série d’interviews que nous dédions aux tendances de la monétisation. Il nous explique l’impact de la mesure « zéro tracker » dont  bénéficient les abonnés connectés. Il partage également avec nous son opinion sur la publicité et sur les principales tendances en matière de monétisation pour cette année.

Quelque mois après la suppression des trackers publicitaires pour les abonnés de Libération, que constatez-vous ?
Clément Delpirou, SFR Presse.
Clément Delpirou, SFR Presse.

Nous avons lancé le « zéro tracker pub » en fin d’année 2019. Cette mesure permet à Libération d’être pour l’instant toujours le seul média français à garantir à ses abonnés l’abandon de leurs données utilisateurs à des fins publicitaires. Cette nouveauté a déjà participé à la croissance de nos abonnements numériques sur le dernier trimestre de l’année.

Avez-vous pu mesurer cette croissance précisément ?

Nous avons constaté des pics d’abonnements quotidiens au moment où nous avons annoncé la mise en place du « zéro tracker pub » pour nos abonnés connectés. Une fois l’effet immédiat de l’annonce passée, il est devenu un peu plus compliqué d’attribuer à cette offre précisément l’évolution de nos abonnements. Je peux néanmoins vous dire que nous avons constaté une croissance de 70 % des abonnements numériques de Libération en 2019.

Comment expliquez-vous une telle performance ?

Pour un tiers, c’est le résultat de nos efforts visant à améliorer le tunnel de conversion et les processus de paiement, en particulier sur le web mobile. Aujourd’hui si vous êtes dans les transports et que vous souhaitez vous abonner à Libération, vous pouvez le faire et payer plus tard. Nous sommes devenus beaucoup plus agiles car nous avons internalisé tout ce qui auparavant était géré par des prestataires extérieurs.

Pour les deux autres tiers, cette augmentation s’explique par une offre d’abonnement numérique fortement enrichie en contenu, sans changement de tarif pour autant. Le fait d’être abonné vous donne accès à l’intégralité des contenus du titre mais également à toute une palette de contenus supplémentaires. Parmi ces derniers, une newsletter quotidienne sur la politique, une verticale hebdomadaire food et gastronomie, une revue trimestrielle sur les questions de genre, etc.

Avant, cela se passait comment ? Les abonnés étaient-ils exposés à la publicité ?

Les abonnés n’étaient déjà pas exposés à la publicité display ni via e-mail. Avec le « zéro tracker pub » nous avons exclu la collecte de toutes les données sur les utilisateurs abonnés. Elles étaient recueillies habituellement lors de leur consultation du site Libération pour enrichir des campagnes extérieures à l’environnement Libé, en programmatique par exemple.

Cette mesure a-t-elle eu un impact sur votre stratégie de monétisation ?

Le « zéro tracker pub » n’est pas une option de l’abonnement, il est inclus par défaut dans tous les abonnements 100 % numériques et n’implique donc pas de coût supplémentaire pour l’abonné. C’est une mise à jour automatique de l’abonnement, puisqu’il concerne aussi tous les abonnés numériques historiques.

Est-ce que les non-abonnés souffrent d’une plus grosse pression publicitaire pour compenser ?

La pression publicitaire sur les non-abonnés n’a connu aucun renforcement lié au « zéro tracker pub ».

Quelle place la publicité a-t-elle dans votre stratégie commerciale ?

La publicité reste une source de revenus importante, en croissance grâce à la bonne tenue de notre diffusion, à l’attractivité de nos audiences pour les annonceurs et à notre capacité à proposer des opérations publicitaires originales.

Quelle est sa contribution à vos revenus ?

La publicité représente 15 % de notre chiffre d’affaires. Les autres 75 % sont couverts par les abonnements, les ventes en kiosque, les événements, etc. Ceci étant, nous avons vingt mille abonnés numériques ; en face, nous enregistrons tous les mois 20 millions de visites sur le site de Libération. Cela signifie que concernant 99,9% de notre audience, la publicité reste d’une très grande importance pour nous. Il s’agit dans ce cas de notre seule source de revenus.

L’abonnement numérique est l’axe principal de notre stratégie de croissance.

Je suppose que vous proposez vos inventaires aux places de marché et que la data a son importance ?

Bien entendu, tout cela est nécessaire à notre monétisation. Une personne qui visite notre titre une fois et qui lit une seule page n’aura pas tendance à entrer dans une relation constructive de type gagnant-gagnant avec nous, elle ne s’abonnera pas. Nous investissons lourdement pour produire nos contenus et offrir cette expérience à nos lecteurs. Pour ce qui est de tous nos visiteurs occasionnels, la publicité reste donc vitale pour nous. La data et les technologies publicitaires ont donc leur importance. Nous disposons d’une DMP. Nous sommes en mesure de proposer des segments d’audience à nos annonceurs sur la base des centres d’intérêt de nos lecteurs.

Ensuite, à partir du moment où nos lecteurs s’engagent dans une relation avec nous, nous investissons pour être en mesure de leur offrir l’expérience de lecture la plus libre possible. D’où l’initiative du zéro tracker pub pour les abonnés connectés.

Mais n’y a a-t-il pas eu de votre part une sorte de recherche d’effet d’annonce avec ce lancement ?

Depuis un an et demi, nous essayons de transposer dans nos offres commerciales la créativité éditoriale de Libération. Nous avons lancé le zéro tracker en fin d’année. Mais je peux aussi vous citer l’offre d’abonnement numérique à vie que nous avions proposée en juin pendant une semaine. Ce sont des offres fortes qui nous permettent d’émerger. Elles prennent le contrepied de ce que l’on peut voir ailleurs.

La plupart des titres se sont mis à afficher le fait que leurs abonnés ne seraient pas exposés à la publicité. Nous nous sommes amusés à compter leurs trackers publicitaires. Cela a généré beaucoup d’intérêt, nos lecteurs nous ont posé plein de questions sur ce sujet. Cela est complètement cohérent avec la sensibilité des lecteurs de Libération. Ce n’est pas du tout comme ça que cela se passe en revanche chez l’Express, par exemple. Nos lecteurs dans ce cas sont beaucoup plus ouverts à une logique de publicité personnalisée selon leurs centres d’intérêt. Ils savent que cela suppose le recours aux technologies de ciblage publicitaire.

Quel modèle de monétisation vous paraît le plus prometteur pour les éditeurs de presse premium comme vous ?

L’abonnement numérique est l’axe principal de notre stratégie de croissance grâce à un quadruple chantier : enrichir les avantages abonnés, inventer des offres attractives, faciliter la prise d’abonnement, mieux connaître les comportements déclencheurs et à même de fidéliser.

Les éditeurs de presse qui s’en sortent le mieux au monde se trouvent aux États-Unis et en Europe du Nord. Leurs revenus sont structurés à 75 % d’abonnements et 25 % de publicité. Cet équilibre s’est déplacé au profit de l’abonnement ces dernières années. C’est une conséquence de la domination des plateformes. À elles seules, ces dernières captent la majorité des investissements publicitaires.  Ceci étant, et malgré ce contexte, la publicité reste un élément structurant et important.

Malgré ce contexte, la publicité reste un élément structurant et important.

Quels défis pour la monétisation en 2020 ?

2020 sera pour nous l’année de l’accélération du recrutement de nouveaux abonnés. Nous allons diversifier nos offres d’abonnement. Notre objectifs est d’augmenter nos revenus afin d’atteindre notre équilibre courant 2021. Pour nous aider, nous prévoyons de lancer dès le premiers trimestre de nombreuses nouveautés éditoriales et innovations produits. Parmi ces dernières une nouvelle app, une verticale écologie et un programme de podcast.

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre

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