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Comment valoriser les marques de presse alors que les news sont partout ? (Interview B. Agus, Time Magazine)

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Time Magazine, l’un des plus réputés hebdomadaires américains, est sorti de la houlette des grands groupes médias auquel il avait appartenu (Time Inc. puis Meredith corporation en 2017) l’année dernière, quand Marc Benioff, le PDG de Salesforce, a décidé de l’acquérir. De nouveau seule et indépendante, la publication transforme petit à petit sa stratégie de monétisation, tentant d’anticiper le virage de la data et de l’intelligence artificielle. Barbara Agus, directrice data et programmatique de Time Magazine, explique à ad-exchange ce qui constitue pour elle une stratégie digitale cohérente et prometteuse dans le contexte aride et compliqué des médias d’aujourd’hui.

Quel impact les changements récents traversés par Time ont-ils sur votre stratégie de monétisation ?
Barbara Agus, Time Magazine.
Barbara Agus, Time Magazine.

Il faut comprendre la nature de l’éditeur avant de s’interroger sur son stratégie de monétisation. Time Magazine est un éditeur d’informations. Sans information il n’y a pas de démocratie. Comparé aux autres médias, Time est l’expression même de l’héritage du print. C’est une marque qui existe depuis près d’une centaine d’années !

L’acquisition de Time par Marc Benioff est une illustration d’une tendance selon laquelle des milliardaires cherchent à sauver la liberté de la presse, à l’instar de ce qu’a fait Jeff Bezos avec The Washington Post. Toutes ces personnalités n’interviennent pas dans les lignes éditoriales des médias qu’ils acquièrent. Ils adoptent une attitude philanthropique, qui consiste à offrir quelque chose en retour à la société. C’est en effet très respectable de sauver des marques historiques qui ont toujours fait du journalisme.

La manière dont les personnes consomment les médias aujourd’hui ne tient pas compte de la valeur des marques de presse. Il y a un changement dans les usages des nouvelles générations. Les news ont été complètement banalisées, elles sont disponibles partout. Avec les nouvelles technologiques, n’importe qui peut prétendre à devenir reporter et à produire du contenu. Il reste cependant la question de savoir si toutes ces technologies et cette transformation numérique font du bien ou du mal à la société…

Le fait d’entrer dans le monde digital change complètement la manière de conduire son activité en tant qu’éditeur. Les éditeurs et les journalistes de Time maîtrisent leur métier, mais ils ne comprennent plus rien en matière de distribution et de consommation de médias. Ils tentent de survivre à la transformation numérique. Ils vivent dans un monde qui a complètement bouleversé la manière dont ils menaient leur activité jusqu’à présent.

Comment votre activité est-elle rémunérée aujourd’hui ?

Le print est encore significatif pour nous, même s’il décline chaque année. Il correspond grosso modo à la moitié de nos revenus. C’est la raison pour laquelle nous nous concentrons de plus en plus sur le digital. Sur le numérique, la majorité de nos revenus est générée par la publicité. Dans ce contexte, il est intéressant d’analyser la part assumée par la publicité programmatique et data driven. C’est là qui se trouve le vrai changement aujourd’hui.

Êtes-vous réticente à l’idée d’adopter une logique d’abonnements ?

La vraie mission d’un éditeur de presse est de contribuer au maintien de la démocratie, d’apporter la vérité au public, de l’aider à comprendre les actualités. C’est pour cela qu’il nous faut rendre nos informations accessibles et ne pas imposer des payswalls aux lecteurs.

Il faut être réaliste : les gens peuvent accéder aux informations partout et à tout moment. Combien d’abonnements chaque famille serait-elle en mesure d’assumer dans un tel contexte ? Combien d’argent sont-elles prêtes à dépenser ? Cela est une des principales contradictions de notre industrie. D’un côté, nous souhaitons disposer des données pour obtenir du volume, et de l’autre nous oublions qu’à défaut d’intégrer les classes moyennes et ouvrières, nous ne serons pas en mesure d’obtenir le volume. L’imposition de paywalls et la stratégie de l’abonnement aide-t-elle vraiment l’éditeur ? C’est une question que nous devons poser plutôt à la société.

Combien d’abonnements chaque famille serait-elle en mesure d’assumer ?

Que doit faire alors un éditeur premium comme vous pour développer ses revenus aujourd’hui ?

Je pense qu’il est essentiel de comprendre l’importance de la data, c’est-à-dire ce que son audience consomme le plus, ce qu’elle aime, bref ce qui l’intéresse. Si vous ne le faites pas, vous raterez votre distribution. Le contenu est roi, certes, mais quand il s’agit de média digital, le contenu perd son importance s’il n’est pas distribué dans le bon contexte.

Aujourd’hui, la manière dont les contenus sont distribués – par les médias sociaux et les plateformes – représente un risque pour l’éditeur de perdre son identité. C’est la plus grande difficulté pour un éditeur aujourd’hui. Nous sommes très forts pour écouter les personnes les plus influentes partout dans le monde, mais ce n’est pas cela qui apporte le volume ! Or, pour la publicité, le volume c’est très important.

Alors que faire pour attirer le volume alors ?

Le seul moyen est d’analyser ce que votre audience souhaite vraiment consommer. Il va de soi que nous connaissons notre audience. Nous savons où elle se trouve, nous connaissons son comportement. Mais nous devons également écouter et apprendre à parler aux plus jeunes, par exemple, en faisant usage de la vidéo, de la réalité augmentée et en proposant des expériences immersives. Nous devons également investir davantage dans de nouvelles activités, au-delà du print et du digital, comme l’organisation d’événements.

La suite de l’interview de Barbara Agus, directrice data et programmatique de Time Magazine, sera publiée demain.

Propos recueillis, édités et traduits de l’anglais par Luciana Uchôa-Lefebvre

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