Fin 2015, la Federal Trade Commission (FTC) publie un rapport un peu « choc » au sujet de la publicité native. Ce document impose aux annonceurs et aux acteurs du secteur de la publicité aux Etats-Unis d’identifier très clairement des messages publicitaires du type natifs. Le but affiché par la FTC est de combattre des pratiques à même de « tromper » le consommateur dans sa compréhension (voir ici notre article sur ce sujet). Selon l’organisme américain, en s’adaptant au format et surtout au contenu de son contexte éditorial et informatif, la publicité native risque de masquer les signaux qui normalement permettent aux consommateurs de l’identifier en tant que message promotionnel ou publicitaire. Par conséquent, elle affecte l’attitude ou les réactions des lecteurs à l’égard du produit ou du service objet de ce message, surtout si elle n’est pas très clairement identifiée en tant que telle.
Nous avons souhaité connaître l’avis sur ce rapport de Philippe Besnard, co-fondateur et président de Quantum Advertising, plateforme technologique qui permet le déploiement automatisé de campagnes de publicité native.
Que pensez-vous de cette conception de la FTC et de la portée générale de ce rapport ?
Nous pensons qu’il est effectivement capital d’éviter la publicité « déguisée ». C’est important pour l’éditeur, mais c’est aussi important dans le contrat moral qui doit unir un annonceur à sa cible : « je me présente à toi sous un angle favorable, mais je ne te mens pas, et je te respecte. » La publicité n’a pas toujours bonne réputation, comme en atteste le développement des adblocks. Il doit donc y avoir des règles du jeu à respecter, et cela ne me choque pas.
Ce qui me choque davantage, c’est qu’il y ait un peu deux poids deux mesures ; je ne suis pas certain que les liens sponsorisés de Google dans la colonne de droite soient tous (sauf le premier) estampillés comme tels. Je ne suis pas certain non plus que les tweets et posts émanant d’influenceurs rémunérés soient signalés comme étant du contenu commercial. Enfin, en suivant la même logique, il faudrait aussi apposer des stickers « placement produit » sur l’Aston Martin de James Bond. Bref, il faut prendre garde à ce que des contraintes trop sévère n’aggravent pas la situation des éditeurs, déjà pénalisés pas la faible valorisation de la publicité standard.
Un des principes mis en avant par la FTC est celui qui impose aux annonceurs et éditeurs de signaler de manière très claire et univoque qu’il s’agit bien d’une publicité, quitte à le faire en lettres majuscules, et ce dès le départ. Plusieurs recommandations sont en effet données sur la manière de le préciser (lire ici) et la FTC se montre très exigeante sur ce point, afin que le consommateur puisse d’emblée savoir qu’il s’agit d’une publicité. Il est ainsi recommandé, par exemple, que la mention se situe tout près du point focal de la pub, c’est-à-dire, de son titre. Que pensez-vous de ces recommandations ?
Dans le détail des recommandations, c’est surtout la question du point focal de la publicité qui m’interpelle : si je comprends bien, dans un site privilégiant les images (sites en mosaïque, par exemple) la mention « publicité » (ou équivalent) devrait être au centre de la photographie, ce qui semble assez exagéré. Mais nous avons affaire à des recommandations de la FTC, et l’on peut imaginer que les différents protagonistes sauront trouver un équilibre.
Quelles conséquences ce positionnement de la FTC peut avoir sur le travail quotidien des agences et des éditeurs qui conçoivent et accueillent des campagnes natives, d’après vous ?
Je pense que leur travail sur la publicité native ne vas pas fondamentalement changer mais va continuer à gagner en profondeur : chacun développe une capacité à éditorialiser les marques, les produits, les services. C’est-à-dire à mieux équilibrer la réflexion entre l’information et le désir, pour faire du produit ou service en question une « actualité » au sens éditorial du terme. Cela suppose une réflexion sur les valeurs de la marque, les spécificités de sa cible et bien sûr une écriture appropriée, pas trop promotionnelle.
Quelles conséquences pour des acteurs de la publicité native programmatique comme Quantum, en tout cas en terrain nord-américain ?
Je ne pense pas que ce type de guidelines ait des conséquences capitales. Les acteurs concernés trouveront les espaces de liberté et d’expression suffisants quitte à rediscuter avec la FTC. Voyons dans tout cela un rappel à l’ordre : attention à bien respecter le consommateur et à ne pas tuer la poule aux œufs d’or…
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’une plateforme programmatique comme la vôtre apporte à un éditeur déjà convaincu par l’intérêt de la publicité native ?
Le programmatique appliqué au native, cela revient à donner de la masse critique et de l’efficacité à quelque chose qui était trop manuelle et opérationnellement couteuse auparavant. En délivrant le native par des outils programmatiques, nous pouvons utiliser data, algorithmes, optimisations, sans limite. Nous pouvons nous connecter à des flux de demande (DSP) plus denses, qui permettent une meilleure compétition entre les campagnes natives, et donc une meilleure efficacité pour l’annonceur et une meilleure valorisation pour l’éditeur. Notre capacité programmatique nous permet de régler finement les ciblages et l’ingestion de données issues de l’annonceur par exemple. Nous sommes donc à même de délivrer ces publi-éditoriaux auprès des cibles qui valoriseront le mieux leur dimension éditoriale.
Dans quels pays travaillez-vous actuellement ? Le recours à la publicité native est-il devenu incontournable sur ces zones ?
Nous sommes actifs en France, Belgique, Italie, Espagne, Pays-Bas, et dans différents pays du Moyen-Orient et d’Amérique latine ; je pense que le native s’impose progressivement par la qualité de ses intégrations et de ses résultats. Attention cependant car certains réseaux aux clics qui n’ont de native que le nom peuvent causer du tort à ce modèle créateur de valeur.
Enfin, vis-à-vis le phénomène du développement l’usage d’adblockers, la pub native est-elle un facteur aggravant ou au contraire atténuant d’après vous ?
Vis-à-vis des adblocks, je pense que le native est à 90% un phénomène atténuant : il s’agit d’une publicité mieux intégrée et donc moins intrusive. Qui plus est, en mode programmatique, elle est ciblée intelligemment et peut donc éviter les contre-sens… Nous opérons depuis le premier jour dans une logique de « full disclosure », tous nos visuels sont identifiés auprès des utilisateurs comme publicitaires, selon différentes formules choisies par l’éditeur.
Encore une fois, nous croyons au marketing du respect, tromper sa cible c’est se tromper de cible. Les adblocks sont nés des interstitiels, site-under et autres mécaniques outrageusement intrusives que les annonceurs devraient éradiquer une bonne fois pour toutes : ils constituent une pollution visuelle totale ; encore plus grave, en affichant des taux de clics très élevés (car il est difficile d’y échapper) ils décrédibilisent l’interaction publicitaire et laissent les annonceurs démunis quant aux metrics à adopter.
Oui vraiment le native est un progrès pour tout le monde, continuons à le faire se développer
Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images: Quantum Advertising.)