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Remplacer la logique du volume par celle de la qualité (interview F. Sitterlé, Challenges)

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Comment l’éditeur d’une marque présente sur le web, le mobile, le print et bientôt même les voitures connectées analyse sa stratégie de développement ? Comment développer son audience ? Quels outils pour la monétiser ? Quel modèle économique privilégier en ligne, dans un contexte où les budgets publicitaires sont accaparés par les plateformes numériques ?

Nous avons choisi d’interroger Frédéric Sitterlé, cet été encore directeur du développement de Challenges, magazine économique français du groupe Perdriel (Challenges, Sciences  & Avenir, L’Histoire, Le Magazine littéraire, etc.), dont 40 % du capital ont été acquis fin 2017 par le constructeur automobile Renault. Frédéric Sitterlé quitte Challenges* dès la rentrée pour rejoindre le groupe Renault en tant que responsable des partenariats de contenus et du sourcing au sein du projet AEX (d’intégration de contenus dans les véhicules de demain).

Quels sont d’après vous les principaux enjeux et défis pour un éditeur comme vous développer ses revenus en ligne ?
Frédéric Sitterlé, Challenges.
Frédéric Sitterlé, Challenges.

L’enjeu majeur pour un éditeur comme Challenges, c’est de pouvoir délivrer l’expérience la plus qualitative possible à ses lecteurs dans l’ensemble des points de contact, et non seulement en digital, avec une stratégie cohérente. Pendant longtemps les éditeurs ont joué la carte du volume. Leur logique était de publier plus pour faire plus d‘audience . Je crois qu’aujourd’hui le vrai enjeu est de publier mieux et d’avoir des audiences plus qualifiées et plus engagées. C’est un changement majeur. Finie la course à la taille, nous sommes désormais engagés dans un projet qui consiste à adresser au mieux les besoins de notre communauté. Cela peut impliquer d’accepter d’avoir moins d’audience si elle est bien plus qualitative et mieux identifiée.

Les annonceurs sont toujours en quête de volume. Si vous optez pour la qualité, cela implique que votre stratégie vise l’abonnement ou du moins un modèle publicitaire avec un CPM très valorisé…

C’est précisément ces deux axes qui nous intéressent, et il ne faut d’ailleurs surtout pas les opposer. Il est courant que l’on sépare d’un côté les contenus payants, sans publicité, et de l’autre les contenus gratuits financés par la publicité. Il faut oublier cette logique.

Les offres payantes, et particulièrement les abonnements, sont un enjeu majeur pour des éditeurs de contenus à forte valeur ajoutée comme nous. Les abonnements nous procurent des revenus plus immédiats et surtout dont le partage de valeur nous est beaucoup plus favorable. N’oublions pas que la publicité implique beaucoup plus d’intermédiaires. De plus, le revenu issu des offres payantes nous procure une visibilité sur la durée.

Si la publicité est bien faite et bien ciblée, elle peut non seulement intégrer les contenus éditoriaux comme leur apporter une valeur supplémentaire. Notre stratégie consiste à déployer une offre totalement intégrée, un mélange harmonieux entre le modèle payant et le publicitaire.

Comment ?

Les annonceurs veulent adresser leur message à la bonne cible et dans un contexte premium et brand safe. Ce contexte premium est complètement garanti par les marques de presse. Un site de marque de presse est extrêmement qualitatif à la fois dans le fond, par la nature de ses articles, et dans la forme, par la manière dont il affiche la publicité. Nous cherchons par conséquent une stratégie avec moins de publicité. Il peut parfois ne pas y avoir de publicité du tout, si c’est pertinent. Inversement, quand il existe une cohérence entre  le contenu, le contexte et le visiteur, on peut afficher la bonne publicité dans le bon format, non intrusif mais impactant. C’est comme cela que l’on pourra vendre la publicité plus cher. Il y aura certes moins de publicité, mais elle sera mieux vendue.

Quelles solutions technologiques vous paraissent indispensables aujourd’hui pour vous aider dans le déploiement efficace de cette stratégie ?

Nous apprécions la solution proposée par Teads. Celle-ci nous permet de disposer d’un inventaire vidéo et de le contextualiser dans un espace totalement sécurisé pour les annonceurs. Et ce sans pour autant pénaliser l’expérience de nos lecteurs. Nous sommes en revanche moins concentrés sur le programmatique, bien que nous y soyons présents. De par le positionnement éditorial de nos marques, nous cherchons surtout à monter des opérations intégrées et à forte valeur ajoutée.

Faites-vous allusions aux opérations spéciales de type brand content ?

Oui, ce sont des opérations spéciales intégrées à notre éditorial. Cela se fait en ligne mais également sur tous les autres supports – papier et audio (podcasts). Ce type d’opération ne peut pas se réaliser en programmatique. Cela exige une très forte concertation entre les équipes rédactionnelles, l’agence et l’annonceur. C’est l’ADN de Challenges qui le permet. Notre marque de presse se positionne sur l’économie, le savoir, la valeur, sur le temps long et l’accompagnement de ses lecteurs. Nous préférons miser sur l’engagement de nos lecteurs que sur un volume de pages vues.

 La technologie peut-elle vous aider dans cette logique ?

Nous avons besoin d’outils qui nous permettent de mesurer les performances de ces dispositifs. Il nous faut une solution à même de le faire à 360°, sur le digital, le print et l’audio. Nous cherchons, nous testons. A priori, il n’existe pas encore sur le marché de solution qui permette d‘avoir une mesure d’impact globale d’une opération print/digital/audio. Et encore moins d’une opération qui intègre la présence d’un annonceur dans une offre éditoriale.

Il n’existe pas encore de solution qui permette d’avoir une mesure d’impact globale d’une opération print/digital/audio.

Et pour le volet payant ?

Avec internet, les lecteurs se sont habitués à une offre gratuite. Maintenant ils ont compris que la bascule s’opère, c’est un passage obligé. Et dans ce processus la technologie est nécessaire pour nous permettre de proposer la bonne offre au bon moment dans le bon contexte. Il faut en effet être capable de placer un paywall au moment le plus opportun, en fonction de la maturité de l’internaute. Vous ne pouvez pas proposer un abonnement à un internaute qui vient pour la première fois dans votre site. Il faut plutôt lui offrir un article pour lui permette de découvrir la qualité de votre contenu. Inversement, au lecteur qui consulte votre site dix fois par jour,  il s’agit d’une démarche tout à fait envisageable.

Nous nous servons de Poool. Cette solution nous permet de scorer la maturité de nos audiences, afin de leur proposer la bonne offre au bon moment. La présence d’un partenaire tiers dans ce cas est très importante. Il nous renseigne sur les meilleures pratiques du marché.

Qu’envisagez-vous avec Renault dans un avenir proche ?

Les médias sont consommés à des moments privilégiés dans la journée, notamment lorsque nous sommes dans les moyens de transports. Un des moyens de transport qui évolue le plus est la voiture : aujourd’hui connectée, elle sera autonome demain . C’est pour cela que Renault a pris 40 % du capital de Challenges. C’est pour permettre à notre groupe de presse de produire des contenus adaptés à une situation de mobilité.

Les voitures seront peut-être le futur kiosque du multimédia ! C’est aussi un fort atout pour l’industrie automobile. Demain on choisira sa voiture en fonction des services et de l’expérience délivrés à bord. Cela représentera une marge et une valeur ajoutée pour l’industrie bien plus intéressante que celle obtenue avec la vente d’automobiles aujourd’hui. Peut-être même que la voiture remplacera le rôle joué par les smartphones en tant que canal de diffusion. Ce sera sans doute un canal de distribution plus équitable en termes de partage de valeur que ne l’ont été les réseaux sociaux et les plateformes liées au smartphones !

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre

 

* L’information de son départ de Challenges, dévoilée par nos confrères de mind News vendredi 12/07, a été confirmée par Frédéric Sitterlé à ad-exchange. Il occupera ses nouvelles fonctions dès le mois de septembre.

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