Dans un contexte de crise sanitaire inédite qui a mis un frein à l’activité humaine et économique, il est légitime de se demander quelle place peut bien y occuper la publicité et comment s’opère concrètement sa mise à contribution dans la lutte contre la propagation du Covid-19. Afin d’éclairer nos lanternes, nous avons interviewé Isabel Kurata, Co-fondatrice de l’association à but non lucratif Act Responsible qui permet aux publicitaires d’exprimer leur solidarité en se mobilisant pour de grandes causes.
Comment est née Act Responsible et quelle est la mission de l’association ?
Act Responsible a été créée en 2001, après les évènements du 11 septembre aux Etats-Unis. Notre volonté est de montrer le côté noble de la profession publicitaire et d’offrir une association qui réunit les acteurs autour des sujets humains fondamentaux pour contribuer aux changements positifs et rapides des comportements par le biais de la diffusion de campagnes de sensibilisation pour faire adhérer le plus grand nombre.
La mission d’Act Responsible est d’inspirer, de promouvoir et d’unir la profession publicitaire autour des enjeux sociaux et environnementaux (c’est aussi notre tag line). L’association se veut être un point de rencontre du monde de la communication et des grandes causes car la publicité a un rôle fondamental à jouer dans l’émergence de ces dernières, à l’instar des communications produit pour lesquelles les créatifs sont appelés à mobiliser leurs talents. Si cela semble évident aujourd’hui, il en était autrement une vingtaine d’années auparavant.
En 2003, notre action a notamment été extrêmement controversée par les anti-pub qui considéraient que la publicité était incompatible avec des sujets sérieux et que nos initiatives étaient un prétexte pour donner bonne conscience aux publicitaires. Notre rencontre avec les anti-pub a été l’occasion de créer le collectif Adwiser qui avait pour but d’échanger sur les pratiques à mettre en place pour aider les agences à développer la connaissance nécessaire pour mieux aborder les sujets de RSE. Nous avons donc dû fournir des efforts nécessaires pour faire comprendre la démarche de l’association et expliquer la responsabilité des publicitaires dans l’évolution des comportements. C’est aussi dans cette optique que nous avons créé en 2006 le club NG’Ad, composé de Directeurs de Communication d’associations dont le but est d’organiser des rencontres avec les publicitaires et de partager les bonnes pratiques pour une communication plus responsable et pertinente. Depuis les pratiques ont beaucoup évolué et la collaboration entre le monde publicitaire et associatif s’est profondément renforcée.
Concrètement, de quelle manière œuvrez-vous ?
Act Responsible est comparable à un observatoire de campagnes de communication responsable à travers le monde. Tout au long de l’année nous identifions à travers le monde les campagnes qui servent de grandes causes, réalisées aussi bien par des associations, des fondations, des entreprises ou des mouvements. Ces campagnes sont rassemblées dans des bases de données comportant à ce jour un total de 20 000 campagnes, représentant un puit d’inspiration et de bonnes pratiques. Ainsi, nous sommes en mesure de voir quels sont les thématiques qui émergent et les acteurs qui prennent la parole. Les campagnes identifiées peuvent être aussi bien des opérations, des cas média, des campagnes RP, digitales, film digital ou cinéma, print ou encore outdoor…
De quel type de campagnes parle-t-on exactement ? S’agit-il essentiellement de branding ?
La plupart du temps, il s’agit en effet des campagnes branding ou corporate. Tous les ans, nous sélectionnons au sein de notre base de données une collection de campagnes à exposer entre autres, au Cannes Lions en mettant en avant le print que les agences proposent généralement moins aux associations que le digital car plus coûteux ! Toutefois, il peut également s’agir de communications produit. Dans la cadre de la lutte contre le Covid-19, Dove a par exemple lancé une campagne Skin Care (gamme de soin pour la peau) qui met à l’honneur le personnel soignant dont le visage est marqué par le port du masque. A mon sens, les annonceurs qui sont engagés depuis longtemps dans de véritables politiques RSE sont plus légitimes sur des campagnes produit.
Quelles initiatives avez-vous déjà mis en place ?
A ce jour, nous comptons 7 initiatives pérennes et mises en place avec des partenaires. Depuis 19 ans, nous organisons une exposition des collections des campagnes avec le Festival de Cannes. Cette année nous avons décidé de maintenir la date prévue et de dévoiler notre exposition en digital car toutes ces campagnes ont actuellement encore plus besoin d’être soutenues et vues, les associations étant les premières à souffrir de cette crise qui a engendré une forte baisse des dons. Nous allons poursuivre cette exposition comme chaque année pour inciter les annonceurs à communiquer sur ces thématiques.
Parmi nos autres initiatives, pour intégrer les bonnes pratiques dans un monde qui n’est pas forcément celui de la publicité, nous avons créé en 2008 les Care Awards (prix) avec l’association européenne des agences de communication (EACA) dont le Président de Jury est l’un des Vice-présidents du parlement européen. Le programme Euronews « 1 minute de responsabilité » présente aussi des campagnes réalisées pour des associations pendant 4 mois, à travers le monde et nous venons également de sortir « The Good Report » avec WARC qui est un classement des campagnes les plus créatives et les plus reconnues par la profession durant l’année. Depuis 1 ans, nous mettons également en lumière une campagne grande cause tous les mercredis, en partenariat avec Culture RP.
Quels sont les enjeux de la diffusion des campagnes publicitaires digitales dans un contexte de crise sanitaire alors qu’une grande partie des annonceurs a mis en pause ou annulé ses campagnes ?
L’enjeu est de trouver le bon message à véhiculer dans cette situation critique. Au début de la crise, ceci a d’ailleurs représenté une difficulté importante pour les marques, c’est pourquoi une grande partie d’entre elles ont choisi de suspendre leurs campagnes. Toutefois, certaines associations ont quant à elles réagit rapidement. C’est le cas de la fondation l’Abbé Pierre qui a très vite fait un appel aux dons via les réseaux sociaux. Le digital joue un rôle majeur en cette période et l’avantage est que c’est un secteur agile et flexible permettant de s’adapter très rapidement. Progressivement, les communications reprennent.
Les campagnes solidaires fleurissent encore sur les sites éditeurs et de nombreux acteurs favorisent la diffusion via des offres exceptionnelles telle que la gratuité ou des réductions de frais, quel est selon vous le bon compromis entre campagne solidaire et sauvegarde du modèle économique publicitaire ?
Les médias ont du choisir entre : perdre leurs impressions publicitaires, continuer à les vendre ou les offrir. J’imagine que la situation à pousser les médias à prendre conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans ce contexte de crise. Habituellement c’est une question qu’ils n’ont pas à se poser car leur inventaire est vendu. Ils se rendent peut-être compte de l’impact des campagnes et choisiront de libérer de l’espace de façon plus régulière après la crise, pour diffuser des campagnes solidaires.
Les fonctionnements, les rythmes et les croyances ont été chamboulés par la crise sanitaire. L’avantage est que cette situation nous a permis de nous prouver à nous-mêmes que nous sommes capables de changer à grande échelle. Pendant 9 semaines, nous sommes passés à toutes les libertés fondamentales à pratiquement aucune. Alors que la résistance au changement est considérée comme notre plus gros obstacle de progression, nous nous sommes rendu compte que nous étions capables de nous adapter à tout. Par conséquent, si nous sommes capables de faire ces changements sous la contrainte et à grande échelle, nous sommes aussi capables de passer aux grands changements qui servent les grandes causes.
Propos recueillis par Stéphanie Silo