En matière de publicité numérique l’industrie ne cesse d’innover. L’une des dernières annonces en date est le lancement d’une plateforme de DCO (dynamic creative optimization) pour la publicité audio par la start-up Audion, entreprise créée en France début 2018. Le principe est le même que pour le display : personnaliser le message en adaptant en temps réel certains éléments le composant en fonction de différents critères de données dont on peut disposer sur chaque individu, comme sa localisation (et par ricochet la météo de sa région) et le contexte d’écoute. Audion est une start-up spécialisée en publicité audio numérique gérée sur fonds propres qui travaille sur deux fronts : l’achat média automatisé et l’innovation technologique. L’activité de trading desk qu’Audion réalise pour le compte d’une quinzaine d’agences sert à financer le développement de ses solutions propriétaires. Le tout est piloté par les deux associés co-fondateurs de l’entreprise Kamel El Hadef et Arthur Larrey avec une équipe de sept salariés. Nous les interrogeons pour en savoir plus.
Expliquez-nous comment faire de la DCO avec la voix.
A.L. Nous sommes partis du constat que beaucoup de données transitent dans le circuit de la diffusion de la publicité audio programmatique sans qu’on s’en serve pour personnaliser le message. Nous avions deux challenges techniques. Tout d’abord, il nous fallait aboutir à une solution permettant de personnaliser l’audio dans un laps de temps très court et sans que l’auditeur ne s’en aperçoive. D’autre part, il nous fallait rendre le processus d’enregistrement des variables le moins chronophage possible et le plus abouti en termes de fluidité sonore. Nous avions testé la génération artificielle du son, mais les résultats ne nous ont pas convaincus. Pour la qualité de l’écoute, la voix du comédien demeure indispensable. Il nous a fallu ainsi développer une solution pour automatiser l’assemblage des différents extraits enregistrés par le comédien en studio, tout en nous assurant de lisser correctement les nombreuses micro-variations sonores pouvant exister entre les différentes composantes du message.
Vous pilotez la création du spot dès le studio pour votre client ?
A.L. Oui. On définit le message avec lui et les éléments du message qui seront variables. Nous enregistrons le spot en studio et les éléments variables du message, que l’on peut compter par centaines. Prenons l’exemple de la campagne que nous avons réalisée pour Ford. Il nous fallait enregistrer 250 noms de concessionnaires et 250 noms de villes, car une des variables était le point de vente. Avec notre plateforme nous pouvons assembler tous ces éléments en temps réel pour composer le message qui sera diffusé de manière personnalisée en fonction du lieu où se trouve l’auditeur. Dans ce cas précis, sachant la ville nous pouvons aussi adapter le message concernant la météo. Vous avez deux exemples : ici nous sommes à Boulogne et il pleut ; ici, à Saint Maur et il fait beau. Nous avons ainsi été capables, grâce à un gros travail d’automatisation, de produire mille spots différents en se servant de deux heures de studio pour l’enregistrement, soit le temps dont une agence de créa nécessite pour enregistrer un seul spot.
C’est un peu le même principe de ce que l’on entend dans les gares, non ?
K.E.H. La différence est le rendu : dans les gares ce rendu est très robotisé. Nous avons beaucoup travaillé pour développer une manière d’éviter tout effet de ce type. Il faut que la voix reste naturelle et qu’aucune hésitation ou latence ne soit perceptible, il fallait que l’on ait l’impression que le spot a été enregistré en entier d’un seul coup, et non assemblé. Nous y sommes parvenus en travaillant à la fois sur la post-production de façon à égaliser les niveaux sonores des variables et sur les algorithmes de notre plateforme afin que tous les spots soient harmonisés entre eux (en termes de durée, d’ambiance et fond sonore, etc.).
Comment se passe l’activation, c’est-à-dire l’assemblage au moment où l’impression est proposée ?
A.L. Cette solution est utilisée dans l’écosystème programmatique. À chaque fois qu’une impression publicitaire est appelée, elle vient avec des données qui indiquent, par exemple, le type et le modèle d’appareil, le système d’exploitation, la localisation, le type de flux audio à l’écoute, etc. Les principaux scénarios de personnalisation que l’on prévoit se basent sur la localisation – pour indiquer le point de vente par exemple ou adapter le produit proposé en fonction du temps qu’il fait, l’audio étant un canal de drive to store par excellence –, et sur le contexte de diffusion, la musique de la publicité pouvant s’adapter au type de playlist que l’utilisateur écoute à cet instant-là. De nombreux scénarios sont possibles !
K.E.H. Au final, l’objectif de tout cela est que l’expérience d’écoute soit la plus fluide possible, et il n’y a que la personnalisation sonore qui puisse procurer ce niveau-là de confort pour celui qui écoute : la publicité est beaucoup moins agressive et le message utile et pertinent. On peut par conséquent pratiquer moins de répétition avec une meilleure intégration, c’est tout le contraire de ce qui se fait aujourd’hui.
La musique de la publicité peut s’adapter au type de playlist que l’utilisateur écoute à cet instant-là.
Peut-on qualifier Audion de trading desk ?
A.L. Nous achetons en effet en programmatique des campagnes audio pour le compte d’annonceurs via leurs agences média, nous avons mis en place un ad server spécifique pour l’achat du média audio. Nous travaillons avec les éditeurs branchés en programmatique de type services d’écoute de musique en streaming, web radios et des agrégateurs d’audio. Nous nous occupons de toute la chaîne de valeur : de la production du spot à la mesure de l’efficacité de la campagne.
Êtes-vous vraiment satisfait de la qualité de l’expérience publicitaire audio aujourd’hui ?
K.E.H. La publicité fait partie du jeu du contenu gratuit, nous avons tous été élevés avec les spots radio, cela ne date pas d’aujourd’hui. Jusqu’à présent on a cependant opté par une approche consistant à régler plus fort le volume des spots publicitaires et à jouer sur la répétition. L’audio digital permet d’explorer une approche différente : avec la personnalisation on est plus pertinent et on peut se passer de la répétition excessive.
A.L. La personnalisation des spots représente un immense gain de productivité pour l’annonceur qui pourra avoir un impact dès la première diffusion. En ciblant uniquement les groupes qui pourront s’intéresser à son message, il évitera les déperditions. Plus tard, on pourra même envisager d’introduire une vraie logique narrative dans un continuum rendu possible par une écoute personnalisée.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre