Dans un pays où les consommateurs perçoivent très mal la collecte et le traitement des informations en ligne les concernant (voir notamment l’étude de l’agence Publicis ETO sur ce sujet), comment un spécialiste français de la donnée voit aujourd’hui la question de son exploitation et du respect de la vie privée ? Pour répondre à cette question, ad-exchange.fr s’est tourné vers Temelio, jeune société française fondée par deux anciens d’Acxiom, Bertrand Jesenberger et Nicolas Blandel. Ensemble, en 2011, ils développent une solution de convergence entre les données offline et online au sein de leur start-up alors nommée LeadPlace qui se met aussitôt à attirer de grands comptes français, tels que GDF Suez et Orange. Ensuite, l’année dernière, l’entreprise met en place une technologie propriétaire de « CRM onboarding » et se retrouve labélisée Jeune Entreprise Innovante par Bpifrance. En 2015, elle devient Temelio, « clef de voûte » en grec. La parole à Nicolas Blandel, président de Temelio.
Les données ont toujours été le nerf de la guerre en matière de marketing et de publicité. La différence aujourd’hui est que jamais auparavant les marques n’avaient eu d’accès à autant de données au sujet de leurs cibles et ce grâce aux méthodes de tracking des traces laissées par les utilisateurs dans leur navigation en ligne. D’une manière générale, que ce soit sur le desktop ou le mobile, pensez-vous que l’industrie de l’ad tech est respectueuse de la vie privée des consommateurs ? Pourquoi ?
Le marketing est aujourd’hui très clairement data-driven. L’écosystème produit des données en masse, et c’est pour cette raison que des nouvelles technologies comme les DMP (Data Management Platform) ont vu leur apparition pour collecter, classer intelligemment la data (taxonomisation), l’activer et maîtriser la pression commerciale. Maintenant, ces données collectées et analysées par les marques se doivent de respecter les législations en vigueur sur la collecte de données individuelles et personnelles.
Nous avons la chance d’évoluer dans un écosystème qui a toujours été régi par des lois et des règles en la matière du traitement des données personnelles (la première loi sur le traitement des données personnelles date du 6 janvier 1978, loi qui est modifiée régulièrement). L’industrie de l’ad tech attendait avec impatience la directive et ordonnance Paquet Telecom concernant l’exploitation des cookies. Donc oui, je pense que la réglementation européenne et française en la matière ainsi que les recommandations de la CNIL permettent de satisfaire les exigences de respect de la vie privée des consommateurs. Même si certains acteurs internationaux ont des difficultés à appréhender et à se conformer à notre législation locale, l’industrie de l’ad tech en général a su évoluer très rapidement dans ce domaine.
Vous êtes une jeune société ayant mis au point une solution de transformation de données dites « offline » de chaque annonceur en données online. Pouvez-vous nous dire plus sur comment est-il possible de croiser la base de données clients d’une marque ou magasin « off line » avec les données en ligne (les profils, les cookies) de ces mêmes personnes ? Comment les identifier sur l’univers digital ?
Ce type de technologie, qui se nomme CRM onboarding, devient véritablement un must have pour les annonceurs, s’ils souhaitent identifier un client d’un prospect dans l’écosystème digital. Le CRM onboarding répond à une vraie rupture technologique : permettre aux marques d’ajouter un point de contact device digital à leurs données CRM offline. Pour ce faire, nous avons développé une plateforme tiers de confiance permettant de croiser les données CRM avec notre « data lake », constitué de points de contacts digitaux multi-devices (cookies, ID mobiles), connectés et synchronisés aux plateformes de marketing digital du marché (DMP, DSP, plateforme de personnalisation etc.). La valeur ajoutée d’une véritable solution de CRM onboarding repose sur la capacité à digitaliser des données CRM email, téléphone et surtout postales, qui sont les seules données 100% renseignées dans un CRM.
Le process d’onboarding est simple : l’annonceur charge les segments de sa base CRM à digitaliser sur notre plateforme disponible en mode SaaS ou la transmet à Temelio via un réseau sécurisé. Les individus sont alors rapprochés aux données de notre data lake via des algorithmes de matching one-to-one. Les data digitalisées et anonymisées obtenues sont ensuite immédiatement distribuées dans les plateformes marketing utilisées par l’annonceur ou son agence média (DMP, DSP, plateforme de personnalisation ou attribution etc.). Les use cases sont multiples : campagnes de CRM display, personnalisation du site en fonction du profil client ou même mesure de la contribution des campagnes digitales dans la transformation offline.
Chez Temelio, l’onboarding est entièrement réalisé sur une plateforme propriétaire sécurisée, hébergée en France, et qui exploite des algorithmes spécifiques de hachage permettant de ne pas héberger de données personnelles identifiables (PII) sur la plateforme. L’ensemble des données, client ou partenaire, sont anonymisées et strictement compartimentées en amont de l’onboarding.
Etant spécialiste de la data, pouvez-vous nous expliquer comment opèrent les bases des données 3rd party en ligne ? Ces plateformes de vente de données tierces parties : que vendent-elles ? où se fournissent-elles ? En faites-vous usage ?
Les bases de données 3rd party vendent des données de ciblage intentionnistes, socio-démographiques ou comportementales, dont le but final est d’améliorer le ciblage des campagnes display. Elles se fournissent auprès de réseaux d’éditeurs qui souhaitent générer des revenus complémentaires à leur core business en commercialisant des données de navigation. Dans tous les cas, quelle que soit la forme de ces partenariats commerciaux, les éditeurs se doivent d’informer les internautes de la dépose de cookies tiers sur leurs navigateurs, d’expliquer la destination et l’utilisation qui sera faite de ces données et de donner aux consommateurs la possibilité de s’opposer facilement à cette collecte. Temelio possède un positionnement spécifique : notre technologie de CRM onboarding s’appuie sur un data lake alimenté par des cookies 3rd party qui permet de réconcilier une donnée online et offline. La qualification du cookie, en revanche, ne provient pas de la navigation de l’internaute sur des sites tiers mais de la connaissance client de l’annonceur, donc de sa donnée first party.
Est-ce que les bases de données clients sont revendues de manière non anonymisée ? Par exemple, mon opérateur de téléphone mobile peut-il fournir à une base de données 3rd party des données personnelles identifiables me concernant ?
Oui et oui à vos deux questions, dès lors que votre opérateur de téléphonie mobile a recueilli le consentement du consommateur pour la revente de ces données d’une façon anonyme et/ou non anonyme. Cela fait plusieurs décennies que les bases offline, email, et plus récemment cookie sont commercialisées et exploitées pour réaliser du ciblage marketing.
La suite de l’interview sur la collecte et l’exploitation des données personnelles en ligne avec Nicolas Blandel, président de Temelio, sera publiée demain.
Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images : Temelio.)