L’offre de l’ad tech mobile Adikteev, traditionnellement centrée sur la data et l’analyse prédictive pour le ciblage personnalisé en temps réel, n’a pas cessé d’évoluer depuis au moins 2015. Cette année-là l’acquisition de la technologie de MotionLead leur permet de proposer des formats innovants sur le mobile. Puis, en 2016, ils rachètent Trademob, une plateforme demand side (DSP) mobile lancée en Allemagne en 2013. Nous vous proposons un tour du secteur de la publicité mobile avec Emilien Eychenne, co-fondateur d’Adikteev, sans oublier de l’interroger sur le RGPD et l’expérience utilisateur.
Vous êtes à la fois sur la data et l’expérience utilisateur sur mobile. En quoi l’arrivée prochaine du RGPD va affecter votre activité?
Le règlement européen va demander à tous les SDK installés sur les applications une validation pour la collecte de la donnée. Aujourd’hui nous ne collectons pas de données directement sur les applications. Nous sommes intégrés à des applications de tracking qui récoltent la donnée pour nous l’envoyer ensuite. Ces partenaires (des sous-traitants des annonceurs et des éditeurs) nous envoient la donnée en l’ayant d’abord anonymisée, triée et filtrée. Nous n’avons accès qu’à ce que l’annonceur veut bien nous donner. Par exemple, Appsflyer ou Adjust sont des outils CRM qui viennent récolter la donnée et la trier pour l’annonceur. Ce sera donc à eux de demander à l’utilisateur cette autorisation. Pour nous, sur toute la partie performance, le RGPD sera a priori indolore.
Et sur le desktop? C’est votre réseau d’éditeurs qui va devoir assurer cela?
Normalement oui, mais il faut aussi se souvenir qu’en France les textes de loi se traduisent toujours de manière un peu spécifique, on ne sait jamais exactement ce que cela va signifier. C’est très important d’avoir une loi qui protège l’utilisateur et il faut la respecter, mais j’attends de voir jusqu’à quel niveau ils vont pousser toutes ces questions de traitement de données. Ce sera très compliqué pour l’Europe de normaliser très fortement un secteur qui porte une grosse partie de la croissance européenne. Le marché de la data est devenu un des plus gros marchés au monde, et je ne pense pas que l’Europe veuille le tuer. Si cela devient trop normalisé on va accélérer notre déploiement et nos investissements dans d’autres pays en dehors de l’Europe. Aujourd’hui, les acteurs technologiques ne sont plus liés à une géographie. Je peux livrer en Asie ou aux États-Unis, je peux travailler partout dans le monde. Notre réflexion se fait en time zone, il n’y a plus de frontière pour nous.
Nous n’avons accès qu’à ce que l’annonceur veut bien nous donner.
Jugez-vous vraiment satisfaisante l’expérience utilisateur sur mobile?
Ce qui fatigue le plus est l’écran statique avec une publicité statique où je ne peux rien faire, qui de surcroît me bloque dans ma navigation et dont la croix [servant à l’arrêter] n’apparaît qu’au bout de cinq secondes. Il y a deux solutions à ce problème. Il faut donner accès à plus de contenu dans la publicité, qui doit devenir interactive et plus ciblée. Il faut aussi la personnaliser au mieux. C’est pour ces raisons que nous travaillons énormément sur la DCO (dynamic creative optimization), qui permet de mettre en place des scénarios créatifs pour ne jamais ennuyer l’utilisateur. D’autre part, à travers des algorithmes prédictifs on peut personnaliser chaque impression publicitaire en fonction de l’utilisateur que l’on a en face. C’est très complexe, car quand on dynamise une créa on ne peut pas avoir tout de suite la validation de l’annonceur sur les 2000 ou 3000 combinaisons créatives possibles. Il faut donc le faire avec des annonceurs qui sont d’accord pour vous laisser la main sur les créations.
Mesurez-vous l’impact de la DCO?
Les performances sont en moyenne sept fois meilleures sur l’interaction (les clics) comparé à une créa statique, et on arrive à générer trois fois plus de ventes. Ceci signifie que plus c’est personnalisé plus on vend. C’est d’une logique imparable, mais on en est encore loin pour la plupart des acteurs: nous proposons la DCO à tous nos clients et seuls 10% la mettent en place. Il faut donc faire changer les mentalités.
Plus c’est personnalisé plus on vend.
Pouvez-vous nous expliquer Aditkteev aujourd’hui?
Nous avons, d’un côté, notre métier historique qui est le traitement de la donnée avec une équipe de data scientists. Nous customisons des algorithmes: en fonction des besoins de nos clients, nous attribuons des poids différents à certaines typologies de données, pour optimiser leurs performances. Puis, quand nous avons attaqué le marché du mobile, notre principale problématique était de créer l’expérience utilisateur et l’engagement. Il nous fallait donc rendre les formats moins intrusifs, notamment en donnant à l’utilisateur plus de capacités d’interaction dans le format. C’est pourquoi nous avons lancé notre technologie créative.
Et le rachat de la plateforme DSP?
Le rachat du DSP nous a permis de gagner en reach et de nous développer au niveau mondial. L’avantage d’avoir acheté le premier DSP mobile européen était dans ses liens déjà forts avec les SSP du marché – ils avaient déjà essuyé les plâtres sur tous les problèmes que nous aurions pu rencontrer de compatibilité technologique dans ces intégrations. C’était important pour nous d’avoir un DSP propriétaire aussi parce que nous customisons les algorithmes. Nous allons désormais plus loin dans les critères de performance, ce rachat nous a permis de changer d’univers, de répondre aux besoins des clients qui sont dans la performance, qui ne font jamais de branding, comme Uber ou Social Point. Avant nous répondions aux KPI de couverture sur cible et de brandperformance (performance post clic site centric, temps des visites, taux de rebonds et taux de visites sur les sites), mais nous n’allions pas jusqu’à générer l’achat. En gagnant en reach, nous pouvons désormais faire travailler nos algorithmes sur une masse d’utilisateurs beaucoup plus importante et par conséquent identifier encore plus facilement les bons utilisateurs.
Avant comment faisiez-vous pour acheter les inventaires?
Nous avions deux manières d’acheter. Nous utilisions notre technologie directement à travers notre propre ad server, et nous installions notre technologie chez les éditeurs, ce que nous faisons encore aujourd’hui, mais uniquement en France (nous conservons notre ad server et ce réseau d’éditeurs). Sur la partie mobile, nous passions forcément par des DSP externes dans lesquels nous avions l’obstacle de ne pas pouvoir injecter tout notre volet d’intelligence artificielle, ce qui était très frustrant.
À quoi servait votre intelligence artificielle si vous ne pouviez pas l’utiliser sur les DSP?
Elle nous servait uniquement en France pour nos campagnes de brand performance et de branding. Le rachat du DSP nous a immédiatement permis d’étendre notre rayon d’action. Nous avons ouvert deux bureaux dans la foulée, à New York et à San Francicso, en plus de celui de Berlin. Aujourd’hui nous diffusons des campagnes même au Vietnam.
Et maintenant cette intelligence artificielle est tout à fait couplée à l’activation…
Là nous arrivons à générer des ventes, du ROI client! C’est la plus belle récompense de tout notre travail de toutes ces années sur la partie optimisation du traitement de la donnée, qui nous a coûté plusieurs millions d’euros. Nous avons injecté énormément d’argent sur la data, la moitié de nos salariés travaillent sur la data science.
Et quels sont les marchés les plus actifs pour vous?
Notre croissance est fortement portée par les États-Unis, par la France et nous commençons à faire redécoller la société en Allemagne.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images: Shutterstock et Adikteev pour la photo d’Emilien Eychenne.)