Suite de l’interview d’Antoine Ferrier-Battner, co-fondateur d’Adback (cliquez ici pour accéder directement à la première partie de cet entretien).
Quels arguments peuvent faire changer d’avis les utilisateurs d’ad blockers ?
Nous sommes convaincus que pour être compris, il faut d’abord écouter. Adback permet d’écouter et de comprendre la culture, l’identité de l’utilisateur. La clé est dans le ciblage et le profiling, c’est essentiel pour la réussite des actions menées. Par exemple, nous avons pu observer que quand un utilisateur vient d’un réseau social, il ne faut surtout pas le gêner dans sa navigation, tout message à ce moment-là sera inefficace. Il faut attendre. Tout le travail du publisher consistera à l’inciter à rester le plus longtemps possible et ce n’est qu’une fois que l’utilisateur sera engagé que l’on pourra lui présenter des solutions de désactivation ou de paiement. À l’inverse, lorsque l’utilisateur est récurrent, qu’il vient directement sur le site, qu’il lit plusieurs fois plusieurs pages par jour, une proposition d’abonnement sera beaucoup mieux perçue : nous avons constaté des résultats de transformation de l’ordre de 10 % sur cette cible-là. Autre chose : la plupart des messages considèrent l’utilisateur comme quelqu’un de passif, l’obligeant à se plier à réaliser une action. Sauf que lorsqu’on demande son avis, que l’on l’implique dans la conversation par des sondages ou via une communication directe avec lui, les retours sont impressionnants ! Contrairement aux idées reçues, l’adbloqueur est disposé à parler directement avec l’éditeur. Ce qu’il veut avant tout est lire le contenu du site et être en connivence avec l’éditorial.
Vous avez énormément observé le comportement de ces différents profils et testé des solutions pour en arriver là, est-ce exact ?
Exactement. L’outil existe en réalité depuis deux ans, mais ce n’est que depuis six mois qu’il est mûr pour apporter des recommandations.
Vous semblez donc convaincu qu’il y a moyen de baisser l’adoption d’ad blockers ?
Oui, dès lors que l’on cible d’ad bloqueur, que l’on l’identifie et que l’on lui propose des solutions alternatives et pas uniquement une désactivation totale du logiciel. Nous sommes certains qu’un web créateur de valeur pour tous est possible !
Quelles solutions alternatives ?
Des solutions du type « freemium » mais uniquement sur une durée limitée ; des micropaiements ; des solutions de participation (commentaires, inscriptions aux lettres d’information qui viennent avec la publicité sans pour autant lui empêcher d’accéder au contenu), etc. Il y a un « entre deux » entre pas de publicité du tout et la publicité tout le temps, et il faut catalyser le temps publicitaire pour qu’il soit mieux utilisé, mieux valorisé et plus efficace. Les gens ne sont pas prêts à payer très cher pour un web sans publicité, et le souci est que les éditeurs dans ce cas ne pourraient pas tenir longtemps, ce qui empêcherait la liberté de création de contenu de continuer d’exister. La publicité reste donc nécessaire pour financer un contenu gratuit.
Il y aussi un « entre deux » à trouver pour la data. Les ad bloqueurs bloquent une partie de la data car des abus ont été commis, notamment par les retargeteurs, qui les exaspèrent. Il faut, au contraire, utiliser les informations dont on dispose des utilisateurs pour communiquer de manière intelligente avec eux. Un détail important : une fois que l’on arrive à convaincre l’utilisateur de désactiver son ad blocker et qu’il le fait, on communique cette information aux différents outils technologiques de l’annonceur (DSP, CRM, ad server, etc.) de façon à ce qu’il soit traité comme un segment à part entière, et ainsi d’éviter une nouvelle surpression publicitaire qui l’amènerait à le réactiver.
Et avec les annonceurs et les agences, que faites-vous ?
Sur un budget média de display traditionnel, les agences et les annonceurs ne prennent pas en compte qu’il sera occulté de 20 % à 30 % de la population cible, à cause du recours aux ad blockers. Pour un annonceur, lorsqu’un utilisateur bloqueur de publicité arrive sur son site, il s’agit du seul et unique moment de le toucher. Nous pouvons informer les outils CRM et d’achats média de l’annonceur quels sont les utilisateurs bloqueurs, afin que ces premiers puissent réagir en fonction, au bon moment.
Que pensez-vous de la décision d’Ad Block Plus annoncée la semaine dernière de… créer un ad exchange d’inventaires pour des « publicités acceptables » ?
Ad Block Plus, c’est Don Quichotte qui vous pointe le moulin pendant qu’il vous fait les poches. L’entreprise éditrice de ce logiciel est vraisemblablement arrivée à saturation de son modèle économique, qui consistait à faire payer très cher les majors de la publicité en ligne (Google, Microsoft, Amazon, Criteo…). Or, il n’y a plus de gros acteurs pour le payer. Par conséquent, la seule manière pour l’entreprise d’accroître son business model est d’aller toucher des plus petits et donc d’ouvrir une plateforme automatisée. C’est du pur racket : le modèle de reversement aux éditeurs n’est pas du tout validé, l’opacité est totale. La grande question est : est-ce qu’il y aura un retour de bâtons des utilisateurs ? Il pourra y avoir un transfert de puglins d’Ad Block Plus vers des logiciels plus cohérents avec leur manière de penser.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images : Adback.)