S’intéresser à la fraude sur le marché de la publicité en ligne suppose aussi, voire avant tout, aller chercher les explications et points de vue des acteurs qui le pratiquent, et non seulement les fournisseurs de solutions de lutte contre la fraude. Éditeurs, régies, agences et trading desks, sans parler des plateformes DSP et SSP et des places de marché elles-mêmes, sont sur le devant de la scène en la matière et doivent s’y impliquer de plus en plus pour chercher des solutions qui puissent, sinon éradiquer, du moins minimiser le phénomène. La parole aujourd’hui à Yseulys Costes, PDG du groupe 1000mercis. 1000mercis est une agence de marketing relationnel qui s’est véritablement lancée dans le RTB en 2012, avec l’intégration d’un trading desk indépendant et d’une DMP propriétaire. Ils opèrent ainsi quotidiennement de l’achat display sur desktop et mobile d’espace publicitaires pour le compte de leurs clients annonceurs.
1. Des études et analyses rendent compte de deux véritables fléaux au sein des places de marché publicitaires : les fausses impressions et l’absence de visibilité. Parlons tout d’abord de la fraude : une proportion alarmante d’impressions facturées aux annonceurs n’est jamais vue par de vrais internautes, mais par des robots. Quelle est votre analyse de l’ampleur véritable de ce phénomène ? Et à qui la faute d’après vous ?
La fraude est un phénomène réel, sur lequel il est important de travailler pour le réduire, mais qui est concentré. Comme sur tous les réseaux ouverts, la fraude est malheureusement omniprésente sur Internet et notamment dans le domaine publicitaire. Les places de marché ne sont effectivement pas épargnées du fait de la présence de robots qui peuvent simuler (jusqu’à un certain point) le comportement de vrais internautes en occasionnant de vrais coûts pour tout l’écosystème.
Les robots sont au départ nécessaires au bon fonctionnement d’Internet : ils repèrent, indexent, corrigent et mesurent une grande part des sites web que nous utilisons quotidiennement. Mais en effet, comme toujours avec les outils, leur usage peut être détourné et servent aussi à tricher à une minorité d’acteurs. Difficile de donner la mesure de ce phénomène dans le programmatique, car il n’y a bien sûr pas de statistiques officielles de ces activités illégales. La moyenne n’aurait d’ailleurs pas beaucoup de sens tant on voit bien au quotidien que certains sites ou certains usages concentrent une grande part de la fraude. Il n’y a bien sûr pas de responsable unique et ceci à un niveau international. C’est par une meilleure coopération de tous les acteurs de la chaîne que la fraude sera réduite à néant.
2. Vous sentez-vous concernés ou menacés par des fraudeurs ?
Personne ne peut se dire à l’abri de la fraude aujourd’hui et, le Groupe 1000mercis, en tant que société de data marketing spécialisée dans le RTB, prend ce phénomène très au sérieux, en y consacrant beaucoup d’investissements et d’énergie. Les fraudeurs profitent d’un marché encore insuffisamment transparent qui, malgré les promesses de l’achat programmatique, cache parfois des acteurs – heureusement très minoritaires en nombre et en volume d’activité – qui tentent de détourner le système.
Notre intervention se situe à plusieurs niveaux. Nous sélectionnons d’abord avec un très grand soin les inventaires sur lesquels nous diffusons des messages publicitaires. D’autre part, nous mettons en œuvre plusieurs techniques de détection de fraudeurs à partir de la masse d’informations dont nous disposons quotidiennement et que nous historisons dans les DMP que nous constitutions pour nos clients.
Plus globalement, la lutte contre la fraude est un combat à mener par tous les acteurs de l’écosystème et ceci à un niveau international : côté éditeur, côté plateforme adexchange, côté annonceur, et côté agences et desks, d’où l’implication du Groupe 1000mercis et de ses entités sur ces sujets.
Enfin, il est important de préciser qu’en travaillant principalement pour des objectifs de génération de ventes online ou offline et non de trafic ou de diffusion, nous sommes à l’abri de la plupart des systèmes de fraude. En effet, nous surveillons en temps réel la performance de nos campagnes RTB en termes d’achats effectifs générés, ce qui constitue bien sur la dernière étape jamais franchie par les robots fraudeurs ! Les efforts consentis en R&D sur les derniers mois nous permettent de penser que 1000mercis a beaucoup progressé sur ce sujet et est désormais bien armé contre la fraude. Mais c’est bien sûr une quête permanente et cela mobilise beaucoup d’énergie chez nous, au sein de plusieurs de nos équipes. En dehors des solutions technologiques internes, il semble important d’identifier les fraudeurs et de sortir du marché les acteurs non vertueux.
3. Est-ce une question évoquée par vos clients annonceurs ?
La fraude est l’affaire de tous et c’est en parlant et en agissant de façon concertée que les pratiques seront assainies. Nous avons toujours parlé de la fraude avec nos clients, car c’est constitutif d’une relation fondée sur la transparence et le transfert de compétences qui nous animent au quotidien, que cela soit dans le cadre de nos activités de trading ou de gestion de DMP. C’est un sujet qui soulève depuis longtemps des questions de nos clients, que ce soit en Europe, aux Etats Unis ou au Moyen Orient, qui sont nos principaux marchés aujourd’hui.
4. Quelles sont les fraudes que vous pouvez/avez identifié et comment faites-vous pour anticiper ces problèmes ?
Les robots sont capables de faire croire qu’ils affichent des bannières, ils sont aussi capables de cliquer, d’émuler un comportement sur un site, de revenir un peu plus tard et même de mettre des produits dans des paniers. Nous utilisons le machine learning et des algorithmes propriétaires pour détecter les comportements frauduleux et en particulier ceux qui essayent de se montrer vertueux vis-à-vis des systèmes d’optimisation des Adex. Il est en effet important de détecter le plus tôt possible les fraudeurs qui cherchent à tromper les bidders pour forcer ceux-ci à sur-dépenser sur leur inventaire. En parallèle de l’augmentation de la vitesse d’apprentissage des bidders, il faut donc être bien armé contre les fraudeurs.
5. Pensez-vous vraiment que la solution des listes noires sur les ad exchanges suffit à régler ce problème ?
C’est un premier pas, mais il est, bien sûr, insuffisant. Comme souvent lorsque l’on lutte contre des fraudeurs électroniques, il faut avoir une longueur d’avance sur eux.
6. Est-ce que ce problème peut véritablement être résolu d’après vous ? Et comment ?
Si l’ensemble du marché à un niveau international se mobilise contre la fraude, des progrès très importants pourront être obtenus. Mais il faut plus de concertation entre les différents acteurs, plus de sanctions aussi contre les tricheurs, la première d’entre elles étant la publication en toute transparence des sociétés qui trichent.
7. Si vous aviez le pouvoir de dicter de nouvelles règles du jeu aux ad exchanges, que feriez-vous pour réduire la fraude ?
La possibilité d’avoir une transparence totale sur les inventaires mis en jeu est un point essentiel. Nous travaillons au plus proche des ad exchanges, avec lesquels nous échangeons régulièrement sur ce sujet, et sur les moyens à mettre en œuvre dans cette lutte.
8. Dans le cadre des places de marché en RTB, que peut-on faire pour limiter la fraude non pas à posteriori mais à priori ?
C’est effectivement l’enjeu. Pour prévoir la fraude, il faut la connaître, savoir la mesurer a posteriori d’abord et ensuite calculer à chaque impression un risque de fraude. C’est ce que nous faisons depuis plus d’un an maintenant avec une équipe dédiée à ces sujets qui combine des savoir-faire en mathématiques et en trading.
9. Pourquoi ne pas commencer à intégrer dans les ad exchanges les noms des vendeurs d’inventaire, en plus de leurs noms de domaine ?
C’est certainement un premier pas que le marché pourrait franchir ! Mais au-delà des noms des vendeurs, il apparaît important d’aller jusqu’à l’identification précise de la société qui met en vente cet inventaire.
10. Un autre important fléau atteignant les places de marché est le manque de visibilité réelle des impressions servies : si l’on compare les différents chiffres de 2014 avec ceux de 2013 non seulement la visibilité comme la qualité des impressions (en termes par exemple de brand safety) sont en baisse (voir par exemple les chiffres d’Integral Ad Science). Est-ce un souci inhérent aux places de marché ouvertes ou pas ? Pourquoi ?
Le manque de visibilité n’est pas uniquement un problème lié aux places de marché. C’est un problème plus général du marché du display. Simplement, les places de marché permettent de beaucoup mieux mesurer cette visibilité pour un surcoût très acceptable, donc le phénomène est mieux connu. Lorsque l’on voit qu’Appnexus rachète la société Alenty qui est très en pointe sur ces questions ou que l’IAB US avance beaucoup sur la mesure de la post impression réellement vue, on peut penser que le marché dans son ensemble et à un niveau international investit pour avancer vers plus de clarté et plus de mesure. C’est un mouvement auquel le Groupe1000mercis participe très activement, car il nous paraît essentiel pour construire un écosystème encore plus performant pour les annonceurs dans les années qui viennent.
Mais la simple mesure de la visibilité ne résout pas tout non plus. Nous faisons de nombreuses études sur ce sujet et c’est bien la recherche du mix visibilité/efficacité optimal qui doit être visé !
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre