Suite de l’interview d’Etienne Drouard, président de la commission Enjeux réglementaires du Geste et avocat-associé au cabinet K&L Gates, et d’Alexandre Balducci, également avocat au cabinet K&L Gates LLP sur les conséquences des initiatives cherchant à réguler l’utilisation des données en ligne en Europe et aux États-Unis (la première partie a été publiée hier).
Aujourd’hui lorsqu’un internaute refuse un cookie, sa navigation est pratiquement impossible. On a l’impression que si l’o n’accepte pas d’offrir ses propres données personnelles, ou en tout cas au minimum de navigation, rien ne peut se faire en ligne. Est-ce le prix à payer pour le contenu gratuit finalement ?
Les cookies nécessaires au fonctionnement d’un service (accès à un compte personnel, panier d’achat, paramètres d’affichage…) ne nécessitent pas de consentement des personnes. Si toutefois la personne les refuse, il n’est pas étonnant que l’accès au service en cause devienne complexe. Quant aux autres cookies qui permettent aux sites de monétiser leur audience auprès d’annonceurs et de financer ainsi les services fournis gratuitement aux internautes, ils constituent effectivement une contrepartie du service. Un site d’information en ligne ou de e-commerce n’est pas un service public. Si vous lui interdisez une technique nécessaire à son financement et à son modèle économique, il ne faut pas s’étonner du risque d’être invité à aller naviguer ailleurs. C’est le nœud Gordien sur l’équilibre à trouver entre le droit des personnes à consentir discrétionnairement à l’utilisation des cookies publicitaires, et la faculté pour un fournisseur de services de financer celui-ci. De là à dire qu’un cookie est le prix de la gratuité, il n’y a qu’un pas. Le fait que la publicité soit la condition de la gratuité n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que le régulateur croit pouvoir l’oublier.
Aux États-Unis, l’administration Trump a récemment abrogé une législation qui était censée protéger les internautes, puisqu’elle imposait aux fournisseurs d’accès à Internet l’obtention de l’accord préalable des utilisateurs avant d’explorer commercialement leurs données personnelles. Les fournisseurs d’accès s’en réjouissent. Mais certains analystes craignent qu’une telle mesure ne soit plus nocive encore pour ces opérateurs, les consommateurs pouvant perdre confiance dans le système. Pensez-vous que cette mesure est vraiment positive pour l’écosystème de l’édition et de la publicité en ligne?
Tout d’abord, nous pouvons comparer la situation américaine et la situation européenne. Depuis 2002, le droit européen interdit aux FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) et aux hébergeurs de services en ligne d’exploiter à des fins commerciales les données de trafic, de navigation et de localisation. Cette interdiction ne peut être levée qu’avec le consentement explicite de l’utilisateur. Les évolutions envisageables du droit européen ne sont pas destinées à assouplir l’exigence d’un consentement explicite et discrétionnaire de l’utilisateur.
Bien évidemment, l’ouverture accordée par l’administration Trump pour permettre aux FAI de monétiser les données de trafic qui passent pas leurs services leur donnerait une position concurrentielle très favorisée par rapport aux éditeurs et aux acteurs actuels de la publicité en ligne. Cependant, l’impact économique en Europe ne serait pas immédiat, car les grands FAI américains ne représentent pas une part significative sur le marché européen, mais également parce que leur exploitation des données relatives à des résidents européens serait soumise aux règles européennes de protection des données personnelles, en application du règlement n°2016-679 du 27 avril 2016 (le « RGPD »), qui entrera en application le 25 mai 2018.
Néanmoins, à moyen terme, les business models et la position concurrentielle que pourront prendre les FAI grâce à cette libéralisation de la monétisation des données de navigation en fera de nouveaux acteurs puissants traitant un trafic massif puisque le choix laissé aux internautes consistera à avoir ou ne pas avoir de FAI.
Nous comprenons que certains analystes s’inquiètent de la nocivité de cette exploitation commerciale sur le plan de la confiance des utilisateurs. Néanmoins, lorsqu’une loi permet une activité et qu’un acteur économique doit choisir entre une réputation et une rentabilité, voire un positionnement concurrentiel, il me semble que la question de confiance n’empêchera pas le développement au sein des FAI d’une utilisation commerciale des données de navigation.
En outre, nous ne voyons pas comment une telle mesure pourrait être positive pour l’écosystème de l’édition et de la publicité en ligne, en ce qu’une telle mesure ne fera qu’inclure de nouveaux acteurs, les FAI, dans un oligopole. Les éditeurs et les prestataires de data publicitaire actuels sont condamnés par cette mesure à ne pas en faire partie.
Questions formulées par Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images: Shutterstock.)
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J’ai récemment découvert Les Nouveaux Loups du Web, un documentaire qui explique bien à quel point nous sommes devenus des produits de consommations à cause d’internet ! Dans le film ils exposent également des solutions qui complètent bien votre article et pour tous ceux qui comme moi sont intéresses par la façon dont nous devons protéger nos données allez voir sur Jupiter Films. Il y a de quoi débattre !