Télé connectée, télé en streaming, télé classique, replay… Au final, de quoi parle-t-on vraiment lorsque l’on propose de monétiser l’inventaire télé de manière automatisée ? Est-il vraiment possible d’acheter (et de cibler) de manière programmatique la publicité sur la télévision aujourd’hui en France ? Nous faisons le point avec Frédéric Dumeny, directeur d’Ooyala pour l’Europe du Sud.
Quel type d’inventaire télé est-il aujourd’hui possible de proposer sur des canaux programmatiques en France ?
Il faut discerner deux grand types d’inventaires : celui de la télévision en direct que l’on voit de façon traditionnelle, via la box ou la TNT, par exemple ; celui des chaînes télé diffusées via internet (sur l’ordinateur, la tablette, ou les applications des box opérateurs). Aujourd’hui le programmatique s’applique à toute la partie distribuée via internet, que ce soit au sein d’applications ou des sites web des chaînes, ou encore sur la catch-up (replay). Le replay est totalement ouvert au programmatique et géré par l’ad server digital de la chaîne télé.
Quand vous dites programmatique, vous parlez de direct automatisé ou véritablement de RTB ?
C’est du programmatique dans le sens de l’environnement télévisuel mais pas pour la télévision « classique ». Les plateformes SSP sont branchées en RTB sur cet inventaire-là.
Quant à la télé à l’ancienne, elle n’est pas ouverte au programmatique pour des raisons techniques et légales : pour préserver la presse régionale, un décret de 1992 n’autorise pas la diffusion de publicités ciblées. Selon ce texte, le périmètre de la pub doit être celui de l’émission (nationale ou régionale). Si elle est nationale, la pub doit être la même dans tous les foyers. Si elle est régionale, elle va pouvoir changer en fonction de chaque région. Il y a aujourd’hui beaucoup de pression pour changer ce décret.
Il existe encore une troisième zone, un peu grise, qui est celle concernant la diffusion en direct de la télé via internet, depuis son ordinateur ou application. Dans ce cas, on considère que la loi ne s’applique pas et que les ad servers peuvent agir. Lorsque vous regardez BFM en direct sur l’ordinateur, au moment de la pause pub notre ad server peut venir remplacer l’image par-dessus le tunnel publicitaire télé. Ce sera un tunnel internet avec une publicité cliquable, cela peut se faire de manière programmatique. On peut appeler cela programmatique tv au sens d’un inventaire télé en direct sur l’ordinateur ou mobile et d’une publicité personnalisée, basée sur les données et les connaissances dont on dispose sur chaque utilisateur. On sait le faire.
Mon pari est que ce décret de 92 va finir par sauter et que le marché s’ouvrira.
Quel sera l’impact du programmatique lorsqu’il deviendra possible sur l’inventaire télé en direct aussi hors internet ?
Le programmatique c’est ce qui permettra aux éditeurs d’exploiter au mieux chaque seconde d’attention. Il va optimiser la même seconde publicitaire, surtout sur les environnements télé qui fonctionnent sur abonnement (login), où l’on sait qui regarde, ce qui rend possible la personnalisation du message en fonction de la cible. On gagne, on optimise.
Le principe du GRP valorisé le lendemain de la diffusion, comme c’est le cas en télévision traditionnelle, sera largement remis en cause par l’arrivée des technologies digitales. Une publicité qui n’est pas livrée sur sa cible gène les téléspectateurs mais surtout n’est pas vendue par la chaîne. C’est bien à cause de la logique des GRP que l’on segmente les émissions. La publicité programmatique fera que les émissions n’auront plus besoin d’être segmentées, puisque l’on pourra montrer sur le même créneau au même instant des pubs différentes en fonction du profil de chaque audience sur chaque écran, il y aura donc un effet sur le contenu lui-même.
Enfin, la télévision programmatique sera aussi une réponse au phénomène des ad blockers car elle rendra à la publicité de la pertinence. Il faut mettre les bonnes publicités en face des bonnes personnes si l’on veut la rendre acceptable à nouveau.
Quel est aujourd’hui votre positionnement et priorités en France ?
Nous fournissons des outils technologiques pour toute la chaîne vidéo, depuis la gestion de contenus à l’étape de la pré-production jusqu’à leur distribution et monétisation. Nous considérons que pour être véritablement efficaces, il faut pouvoir réfléchir de manière globale sur la gestion de contenus et le parcours utilisateurs.
Prenons l’exemple de la pression publicitaire et de comment on la règle communément aujourd’hui. Au lieu de prendre en compte la globalité du parcours de l’utilisateur, on impose la longueur du contenu comme critère pour fixer la quantité de publicité à diffuser. Suivant cette logique, l’utilisateur qui verra plusieurs contenus courts sera beaucoup plus exposé que son voisin qui regarde des contenus longs.
Il faut que chacune des briques (gestion de contenus, diffusion, monétisation…) puissent interagir et que les différentes équipes en charge se parlent entre elles. Et la clé pour cela se trouve dans la collecte d’un maximum de données possible sur tout ce qui passe, à la fois sur les contenus diffusés et sur les utilisateurs qui les visionnent, tout comme sur la manière dont ils y ont accédé. Il faut se souvenir qu’Ooyala était au départ là pour faire de l’intelligence autour de la vidéo, tous nos brevets sont dans ce domaine.
En France, nous avons une très bonne implantation. Nous avons fourni notre technologie d’adserving à M6, BFM TV et Canal Plus. Nous avons équipé le groupe CCM Benchmark d’outils de recommandation vidéo tout comme leur partie player. Nous sommes également SSP pour Canal Plus et en partie pour BFM TV et leurs chaînes à l’international.
Notre stratégie aujourd’hui est d’améliorer notre implantation au sein de l’environnement TV et éditeurs premium. Puis nous continuons bien entendu à investir lourdement en R&D (nous avons triplé nos investissements sur la partie pub ad serving).
Quels sont les challenges à relever ici ?
Nous travaillons dans un secteur qui exige des investissements lourds, il est donc naturel que la conquête de nouveaux marchés soit difficile. Le fait de changer de technologie n’est surtout pas anodin pour un éditeur. Ce sont des choix très engageants. Mais notre vision globale du marché, la solidité de nos plateformes et notre proximité avec nos clients fait la différence.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images: Ooyala.)