Décidément l’industrie du programmatique – les annonceurs y compris – a encore des progrès à réaliser. Manque de transparence des inventaires, opacité des données 3rd party, système encore imparfait de classement des inventaires, créas non adaptées… sont quelques-unes des nombreuses et percutantes remarques que nous livre ici Sébastien Robin, responsable des opérations d’Affiperf, filiale du groupe Havas consacrée au programmatique, trading desk assurant une présence globale, avec pas moins de 900 clients et 10 mille campagnes réalisées dans 80 pays depuis sa création, en 2010. Précis, direct et franc, Sébastien nous explique sa vision de ce marché, ses contraintes, ses succès, et, surtout, les points qui devraient être améliorés pour son véritable épanouissement, aussi bien du côté de ses propres clients annonceurs, que de l’industrie dans sa globalité.
Comment évolue le positionnement du trading desk Affiperf au sein du groupe Havas ?
Filiale du groupe Havas à 100%, nous sommes interrogés par les agences du groupe pour proposer des solutions en programmatique. Mais en aucun cas nous n’avons des obligations d’exclusivité entre nous, ni dans un sens, ni dans l’autre. Nous avons aussi des clients externes au groupe. Les clients du groupe Havas ont tous été formées au programmatique, depuis notre création, en 2010. Ils sont donc matures et libres de choisir.
Proposez-vous systématiquement du RTB pour toutes les campagnes clients ?
Oui. Nous incluons systématiquement du programmatique. Mais nous pouvons aussi travailler hors programmatique et nous avons déjà été amenés à le faire.
Vous avez suffisamment du recul. Où en sont vos annonceurs ? Quelles sont leurs principales interrogations ? Qu’est ce qui les pousse vers les ad-exchanges ? Quels freins reste-t-il encore à lever ?
En France, les annonceurs sont très matures, ils connaissent les acteurs sur place et les rôles de chacun et ils sont en avance vis-à-vis d’autres marchés, comme l’Allemagne, l’Espagne l’Italie et l’Amérique du Sud. En revanche, en France, les annonceurs sont en retard par rapport aux Etats-Unis et le Royaume-Uni dans l’approche budgétaire. Là-bas les budgets sont nettement plus élevés que chez nous.
Leurs interrogations concernent surtout la technologie, l’optimisation et les garanties que nous pouvons leur proposer. Beaucoup de motivations les animent. Tout d’abord, les motivations classiques propres au RTB : la gestion centralisée de la fréquence (le capping), l’utilisation de toutes les données dans une DMP connectée aux inventaires médias, la gestion centralisée multi devices et, pour certains, le fait que cela revienne moins cher que l’achat en direct. Je dis bien « pour certains », car nous nous battons contre l’idée que le programmatique est systématiquement moins cher. Or, les ad-exchanges ne signifient pas du pas cher et de l’invendu. Justement parce qu’il y a de la compétition en temps réel, des enchères, si le client veut acheter du pas cher, il n’aura que les mauvaises places. Pour certains annonceurs, cette idée du low cost fait partie des freins qu’il me semble essentiel de lever.
Un autre frein important est le fait de placer sur une même campagne une quantité trop grande d’acteurs : un trading desk, un Rocket Fuel, un Criteo, en plus des achats en direct… vont tous se retrouver à rivaliser sur le même inventaire et à augmenter le prix de la campagne… Un autre souci que l’annonceur a tendance à considérer comme étant de l’ordre du détail, et qui n’en est pas un, sont les créations publicitaires qui ne sont pas adaptées aux règles des ad-exchanges, tant du point de vue technique que conceptuel. Cet aspect représente 70% de la performance d’une campagne ! Autre frein : alors même que nous menons une campagne de performance, le site de l’annonceur n’est souvent pas prêt à accueillir ses prospects, que la campagne aura captivés… notamment quand il s’agit d’annonceurs qui ne sont pas de purs players. Enfin, certains annonceurs ont des objectifs de campagne qui sont contradictoires.
Quel est votre sentiment sur les résultats des campagnes en RTB et le niveau de satisfaction de vos clients annonceurs concernant le programmatique ?
Les résultats sont très bons et les investissements en hausse, mais pour certains clients cela pourrait être meilleur si les problèmes que nous venons d’évoquer étaient réglés. Les annonceurs sont contents car ils atteignent leurs objectifs. Un bon indicateur de cela est le taux de reconduction de campagnes, très élevé chez nous.
« Il ne faut surtout pas confondre le volume d’articles de presse et le volume d’activité. »
En 2013, ce sont les trading desk des agences qui ont pris le contrôle du marché au dépend des acteurs dits « indépendants » concentrant plus des trois quarts des investissements publicitaires sur les ad-exchanges : comment expliquez-vous ce changement ?
Je ne pense pas comme vous. Il ne faut surtout pas confondre le volume d’articles de presse et le volume d’activité. Depuis quatre ans, les trading desks indépendants ont beaucoup communiqué, ce qui est normal quand on cherche à se faire racheter. Ceci peut amener à l’idée qu’ils ont un volume d’affaires plus conséquent. Les trading desks liés aux agences n’ont pas cette logique et il me semble qu’ils ont toujours eu un volume supérieur à celui des indépendants. Nous sommes arrivés deux mois après Matiro et il n’y avait qu’eux. De plus, aucun organisme n’enregistre les volumes d’affaires des trading desks. On ne peut donc pas avoir de classement à proprement parler pour établir qui a plus de business.
« La Place Média et Audience Square proposent des inventaires qui ne sont pas transparents, car il s’agit d’urls catégorisées »
D’une manière plus globale, à un moment où tout le monde évoque les évolutions positives du programmatique, y voyez-vous des freins ? Lesquels ?
Il y a des freins à lever pour le marché dans son ensemble, à commencer par la transparence des inventaires : La Place Média et Audience Square proposent des inventaires qui ne sont pas transparents, car il s’agit d’urls catégorisées, sans que l’on sache, derrière, quels sont les sites, les pages et les catégories que l’on achète. Il faut aussi gérer le problème de classement des inventaires dans les ad-servers entre les ventes directes et indirectes : aujourd’hui, quand un éditeur vend de l’inventaire sur internet, il met toujours une priorité sur ce qu’il souhaite vendre en direct et cela se maintient même si j’offre plus ! Or, la logique veut que celui qui est prêt à payer plus puisse être servi le premier. La solution serait que les SSP puissent avoir la main sur la totalité de l’inventaire.
Un autre problème de cette industrie est la question de la qualité et de la transparence des données collectées en 3rd party: on ne sait pas d’où vient la donnée, quel que soit le fournisseur, exception faite aux données ezakus et nugg-ad proposées en bundle (la donnée est achetée au sein d’une offre groupée avec le média sur une place de marché précise, connue). Enfin, nous n’avons à ce jour toujours pas la possibilité d’intégrer certaines infos dans les bidders avant l’enchère, comme la visibilité et la brand safety, qui devraient pourtant être des critères de décision pour les DSP.
« Les fournisseurs de 3rd party ne nous disent pas où la donnée est collectée. Si nous le savions, ce serait déjà bien plus simple. »
Vous nous dites que la data 3rd party n’est pas transparente. Comment gérez-vous la data ? Avez-vous une DMP propriétaire et vous fournissez-vous des 3rd party ?
Les fournisseurs de 3rd party ne nous disent pas où la donnée est collectée. Si nous le savions, ce serait déjà bien plus simple. Une importante différence du groupe Havas et d’Affiperf par rapport aux autres est que nous disposons d’une solution de big data propriétaire depuis 2002, Artemis. En 2013, l’intégration de MFG Labs (spécialiste des mathématiques, d’algorithmes et big data) et de la société Elisa DBI (spécialiste du web analytics et de l’optimisation de la conversion) a donné naissance à une structure data room qui s’appelle 2MV, ce qui nous permet de proposer des DMP personnalisées et sécurisées à nos clients, intégrant les données on et off, qu’elles soient issues du client ou de données tierces. Chaque annonceur peut théoriquement avoir sa propre DMP qui reste chez des serveurs sécurisés de la société 2MV. La donnée client enrichie sur la base de ses campagnes appartient au client et est gérée par 2MV à qui nous sommes connectés.
Le marché du programmatique est encore très fragmenté entre de multiples fournisseurs de technologie et acteurs, petits et grands qui poussent tous les jours. Côté DSP et SSP, comment voyez-vous l’évolution de ce marché ? Vous-même, vous faites appel à quels types de fournisseurs techno ?
Des solutions propriétaires en DSP, il y en a très peu. Il faut sortir du mythe que sa propre DSP serait mieux que ce qu’existe ailleurs. Nous le savons en interne pour avoir notre propre solution de DMP, depuis 2002 : cela demande énormément de moyens financiers et humains. Là encore, il faut bien faire la part de choses entre les arguments de communication des trading desks indépendants qui veulent se faire racheter et les solutions qui existent dans le marché depuis des années et qui ont fait leurs preuves. Il y a beaucoup d’acteurs et d’innovations qui sortent, mais il faut savoir prendre du recul à chaque fois qu’une innovation sort pour vérifier l’intérêt des solutions à long terme et si elles sont utilisables à grande échelle. Car l’intégration de nouvelles solutions prend du temps humain et des investissements financiers considérables.
Nous avons développé il y a deux ans une méta DSP « Smart trading » qui relie nos 5 DSPs
Concernant Affiperf, nous utilisons cinq DSP différentes : Mediamath et Appnexus pour le display ; Videology et Adap.tv pour la vidéo et Sticky Ads pour le mobile. Puis, au-dessus de ça, nous avons développé il y a deux ans une méta DSP « Smart trading », qui est connectée à toutes les DSP dans le sens montant et descendant, ce qui nous permet en temps réel de collecter et d’analyser les campagnes et également de faire un push vers les DSP. Cette méta DSP est connectée à notre DMP Artemis, pour nous permettre de faire des recommandations, depuis la prise de brief aux analyses et optimisations en cours de campagne.
Comment faites-vous pour l’identification cross canal ?
Nous sommes en phase d’évaluation et de tests des différentes solutions proposées par le marché.
Et pour le mobile ?
Tout d’abord, le groupe Havas dispose d’experts du mobile à un niveau global (Mobext) depuis 2007. Nous avons aussi des experts data 2MV, qui travaillent sur tous les médias, mobile y compris. Et nous sommes des experts du programmatique. L’ensemble de nos clients bénéficient de ce savoir commun et sont en phase exploratoire. Nous sommes dans une logique de test & learn.
Amazon vient de lancer sa solution de traitement du Big Data « Kinesis ». L’avez-vous testée ? Quelle est votre opinion sur cette méga base de données et d’analyse sur les internautes ?
Non ne l’avons pas testée. Il ne me semble pas que ce soit une solution DMP plug and play.
Quels enseignements avez-vous tiré de vos achats programmatique de vidéo ?
C’est un marché différent du display. Il y a de plus en plus d’inventaires premium qui deviennent disponibles, ce qui est très positif. C’est un processus qui a pris du temps mais qui est sur la bonne voie. Après il faut que les annonceurs s’adaptent à ce marché au niveau de la création, car cela ne sert à rien de diffuser une copie de la pub télé dans un environnement web. A terme, je crois que l’on verra des pubs vidéo très courtes, en tout cas je l’espère.
Voyez-vous des annonceurs qui transfèrent une partie de leurs budgets TV dans la vidéo ou est-ce un mythe ?
Non, ce n’est pas un mythe. En termes globaux, il y a un transfert qui est en train de se faire, y compris en France, mais c’est difficilement quantifiable : quand on retire 1% ou 2% du budget télé cela fait tout de suite une hausse de 25% sur le on line. Ces petites baisses de la télé sont tout de suite importantes du côté du online. L’arrivée de Nielsen OCR l’an prochain va forcément accélérer ce processus.
2014 sera l’année de la maturité de la vidéo programmatique
Nous sommes bientôt en 2014, selon vous qu’est-ce qui a marqué 2013 et qu’est-ce qui va marquer 2014 ?
2014 sera l’année de la maturité de la vidéo programmatique. En 2013, en France, les éditeurs et annonceurs sont arrivés à un niveau élevé de maturité, rattrapant notre retard sur le Royaume-Uni et les Etats-Unis (mais pas en termes budgétaires). Nous avons aussi vu naître de nombreuses et belles solutions innovantes en France, tant au niveau de data que des formats publicitaires vidéo, enrichis, des solutions de yield des éditeurs. Ce sont des solutions qui ont marqué 2013 et que j’aimerais voir disponible ailleurs qu’en France. Ici on est au top de l’innovation. Pour ce qui est d’Affiperf, 2014 sera l’année où le mobile programmatique prendra toute sa place dans nos stratégies et campagnes avec des solutions cross device qui auront un impact important.
Est-ce que le mobinaute doit craindre cette évolution ?
Les données personnelles issues des opérateurs mobiles ne peuvent pas être communiquées. Nous continuerons par conséquent à travailler sur des données anonymes et des données que l’internaute a décidé de partager. Je ne vois donc pas de dérive dans l’utilisation de la donnée sur mobile.
L.U.L.
5 questions déja posées
Difficile pour un SSP de gérer la totalité d’un inventaire éditeur. Celui-ci n’a pas pour vocation d’être Adserver.
Et à ce jour, il n’existe pas d’Adserver holistique digne de ce nom…
Faites le moi savoir sinon!
Merci Sébastien, c’est toujours un plaisir de te lire. Je précise néanmoins que le fait de développer sa propre plateforme et ses propres outils permet de descendre beaucoup plus profondément dans la granularité des segmentations et d’optimiser les stratégies d’achat. Par ailleurs, les outils propriétaires (Adserver, Container Tag, Bannières dynamiques… ) ont également l’avantage de ne pas avoir à faire supporter les coûts de technologies tierces aux annonceurs… ce qui peut avoir des avantages en termes de ROI et de maîtrise de la campagne.
5 DSPs ? est-ce vraiment utile ?
Lyonnais du 92 (Salut TNG !!!), un SSP n’a pas forcément vocation à devenir adserver mais en revanche à s’intégrer de manière fine et pertinente avec les adservers afin de proposer cette fameuse vision holistique de l’adserving. De la même manière que nous travaillons sur une interopérabilité parfaite entre SSP et DSP, les intégrations avec les adservers voulant bien jouer le jeu (pas ceux essayant de devenir SSP du jour au lendemain)vont devenir monnaie courante et sources de revenus additionnels pour les éditeurs et également garantes d’un accès aux meilleurs impressions dont pourront bénéficier les Trading Desks (Seb, tu seras content….).
@stephane.. oui 5 DSP c’est important ..mais avec ton nouveau poste tu devrais vite en arriver à cette conclusion 😉