Notre série sur les tendances et les enjeux de la publicité vidéo en ligne, notamment déployée en mode programmatique, se poursuit aujourd’hui du côté de chez Havas Media Group. Nous souhaitions connaître leur analyse au sujet de la publicité vidéo, leur expérience avec le mode d’achat programmatique et si celui-ci a changé leur manière d’envisager les stratégies à adopter lors de la définition d’un plan média vidéo, notamment télévisé. La parole au Directeur Général de Havas Media Group France, Raphaël de Andréis.
Quel est l’impact du programmatique aujourd’hui dans vos activités d’achat de média et plus particulièrement de vidéo ?
En pourcentage, le programmatique va représenter cette année presque 20% de notre activité. Il est en évolution forte.
La publicité vidéo est-elle réservée à une cour restreinte de grands annonceurs à l’image de la télévision ?
La vidéo digitale est un formidable complément à des plans médias télévisés sur des budgets assez élevés. Nous avons réalisé des études avec Cap Gemini qui nous montrent qu’au-delà d’une certaine pression en télévision, on sature en couverture : on se met à répéter le message de manière exagérée aux mêmes cibles. La vidéo digitale prend le relais pour de nouveau permettre au dispositif de gagner en couverture, ce qui s’avère être très rentable. Car il faut tenir compte de deux dimensions du GRP : la couverture et la répétition. Le but de ce complément avec le digital est de toucher de nouveaux consommateurs et ces nouveaux contacts sont très efficaces. Il ne faut jamais séparer les chiffres de la réalité de ce qu’on délivre comme contenu. La vidéo programmatique en complément d’un plan télé – généralement à 80 (télé) /20 (vidéo programmatique) – nous permet de trouver un mix gagnant, plus rationnel et plus pertinent pour atteindre nos objectifs et notamment pour maximiser le reach.
Mais cela signifie que l’on resterait dans une logique de budgets conséquents.
C’est une phase, mais je suis aussi convaincu que certaines sociétés qui ne pouvaient pas accéder à la télé pourront désormais accéder à la vidéo en ligne. En valeurs absolues cela reste plus accessible, on peut se retrouver avec des sociétés plus modestes qui peuvent réaliser une campagne vidéo très bien ciblée avec des économies de production adaptées à des plans médias plus modestes. Nous réfléchissons beaucoup à ce sujet, à comment donner l’accès à la vidéo à des marques qui ne l’auraient pas à la télévision spontanément. Ou à certains produits à l’intérieur d’une même marque, qui peuvent être promus exclusivement à travers la vidéo. Prenons l’exemple de la 308 qui, sur la télévision, a un important effet de halo sur la gamme : nous pouvons venir en même temps activer sur le digital d’autres modèles de Peugeot qui n’ont pas de taille critique pour aller en télévision, pour justement profiter de l’effet généré par la campagne de la 308. Il y a un grand gisement de pertinence et d’efficacité dans le pont que l’on peut bâtir entre la télévision et le programmatique vidéo.
Entre la télévision et le programmatique vidéo ou entre la télévision et la vidéo en ligne tout court ?
Le programmatique vidéo. Je pense que la vocation de la publicité vidéo en ligne est d’être programmatique. L’intérêt de la vidéo en ligne est qu’elle peut disposer d’un ciblage très précis. La vocation de la vidéo digitale est d’être ultra ciblée, donc programmatique.
Le programmatique semble représenter un vrai virage pour vous.
Le programmatique est un vrai virage. Après, sur la vidéo, l’horizon qu’il faut qu’on atteigne est celui de l’adaptation des contenus. Si vous ciblez hyper bien mais que votre contenu reste identique pour tout le monde, c’est déjà bien mais il faut aller au-delà. C’est ce qui se passe déjà avec le display, vous pouvez le modifier. Il faut ainsi adapter la création publicitaire à la cible. Bien entendu, dans le cas de la vidéo, cette adaptation ne sera pas « individuelle », mais plutôt par pôles. La vidéo c’est du one to all actuellement et le display en programmatique, du one to one. Je pense que l’on pourra aller vers une vidéo en programmatique one to few ou one to some, donc de manière plus pointue et plus élégante. À ce moment-là, le programmatique donnera tout le potentiel qu’il a et ce ne sera pas au détriment de la publicité classique, mais en complément. Car c’est bien la pub classique qui oriente, qui tisse le lien de fond entre une marque et un consommateur. Les 30 secondes sur la télé vous orientent, créent de l’attachement. Le programmatique vient ensuite, dans une logique de déclenchement.
Peut-on trouver d’après vous de l’inventaire vidéo de qualité sur les ad exchanges ?
Oui, de plus en plus. On a quitté la phase de démarrage, qui était un peu instable. Aujourd’hui, toutes les parties prenantes sérieuses de ce marché cherchent à trouver un point d’équilibre intelligent. Tout le monde travaille d’arrache-pied à créer des blacklists. Avec Artemis [leur système d’agrégation et de gestion de données], nous sommes le premier groupe de communication certifié ISO sur la qualité et la sécurité des données.
Mais il ne faut pas oublier que ce qui est intéressant avec le programmatique est de pouvoir apparaître sur des contextes très précis, en plus des audiences. Par exemple, pour Leroy Merlin c’est extraordinaire de s’afficher sur le blog de bricolage d’un habitant de Rodès, très bien fait et qui a 2000 lecteurs par jour ou, pour une marque de cosmétique, de s’afficher sur des tutoriels publiés sur YouTube. Le programmatique permet d’aller jusque-là, ce qui pour moi représente des inventaires de haute qualité, parce qu’ils sont très contextuels. Le programmatique nous permet de chercher une audience mais aussi son contexte. Il faut également accepter que le risque zéro n’existe pas dans le programmatique et je trouve dommage la pratique qui consiste à créer des whitelists. Celles-ci sont des listes de sites prédéterminés, autorisés. Nous pouvons le faire à la demande de nos clients, mais ce faisant nous nous coupons de ces blogs aux gisements intelligents, nous restons cantonnés aux autoroutes. Il faut, au contraire, trouver un équilibre intelligent entre profondeur d’inventaire, affinité très forte contextuelle sur la long tail et élimination impitoyable d’inventaires faux.
Il y a une nouvelle génération d’annonceurs pragmatiques sans idéologie qui regardent ce qui rapporte. Ils ont compris que l’intérêt est d’intégrer le programmatique dès l’amont de son stratégie. Le programmatique a fini avec le grand écart qui existait entre les objectifs business de l’annonceur et leur réalisation. Aujourd’hui nous pouvons toucher une cible très précise grâce à lui. Les groupes de communication qui disposent d’une compétente programmatique remontent, ont des discussions beaucoup plus stratégiques sur leurs cibles avec leurs clients. Auparavant, les solutions étaient très larges. Mais, attention, les médias de masse ne perdront pas non plus : la tendance sera vraiment d’une articulation entre les deux.
Justement, en quoi la consommation de la vidéo sur d’écrans multiples modifie la donne en matière de media planning ?
Comme le modèle dominant aujourd’hui est celui de regarder deux écrans (télé et digital) en même temps, il est impératif de réfléchir à la synchronisation du message sur la télé et sur ce deuxième écran. Nous avons beaucoup investi sur la synchronisation de façon à ce que quand nous passons un spot à la télévision, les cibles qui nous intéressent puissent avoir aussi un spot affiché dans leur flux d’infos sur leur tablette, sur les réseaux sociaux ou n’importe quel autre contenu qu’ils soient en train de lire. L’inverse est aussi vrai : la synchronisation permet de diffuser des spots concurrents, par exemple, sur la tablette au moment où nos concurrents interviennent. En travaillant beaucoup sur cette question de la synchronisation des médias, nous essayons de prendre un temps d’avance.
Les annonceurs ont-ils raison de comparer la vidéo digitale à ce qu’ils ont l’habitude de faire sur la télévision ?
Non, je ne pense pas. Aujourd’hui, cela peut se comprendre dans une approche de display conventionnel mais la vocation de la vidéo sur le digital est vraiment d’être très ciblée. Sur le digital, on est sur une cible extrêmement définie et cela a une valeur qui n’est pas la même qu’une cible beaucoup plus large par définition, comme c’est le cas à la télévision. Il n’est donc pas approprié de comparer les deux. Le sujet est plus de savoir si la vidéo sera vue en entier.
Que pensez-vous de la possibilité d’échapper à une pub vidéo ? Doit-elle être donnée systématiquement ?
Soit on veut un contenu gratuit et pour cela on accepte d’être exposé à ce qui permet de le financer, soit un paye pour ce contenu. Un contenu gratuit sans publicité n’existe pas. Cette question ne se pose pas sur la télévision et ce sera pareil sur Internet.
La publicité est en soi un contenu que les personnes en général cherchent à éviter. A qui la responsabilité de la rendre visible ? Aux éditeurs ? Aux agences ? A l’ad tech ?
Il y a un problème de modèle économique sur beaucoup de plateformes sur le digital. Sur Youtube [où, selon le principe de TrueView on ne paye que pour les vidéos vues], il est compliqué pour les ayant droit de gagner leur vie. L’équation est compliquée: si la publicité est optionnelle, le système n’est pas viable. Il faut que la publicité fasse partie du contrat de lecture d’un contenu gratuit. Et pour ceux qui ne veulent pas de publicité, il faut leur proposer de souscrire à des abonnements. Le reste ce sont des petites vaguelettes liées au fait que l’industrie est en train de se stabiliser. C’est un sujet qui va vite disparaître.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images: site Arena Media et Havas Media Group.)