À l’heure où Google et Facebook captent la majeure partie des investissements publicitaires, la TV qui attire toujours autant les annonceurs représente un levier dont la puissance et l’efficacité restent sans commune mesure. En charge du marketing, de l’innovation et du digital, Guillaume Charles, Directeur Général Adjoint de M6 Publicité nous explique quelles perspectives offre la TV pour lutter contre les deux géants.
Comment sont organisées les activités de la régie ?
G.C : M6 Publicité vend à la fois de la TV traditionnelle et du digital incluant la catch-up, une trentaine de sites internet sur des thématiques précises (ex: Cuisine AZ, Passeport Santé…), du brand content avec un studio de production à destination des Millennials (Golden Network), et désormais de la radio suite à l’intégration des stations du Groupe RTL : RTL, RTL2 et Fun Radio. Aujourd’hui, M6 Publicité commercialise l’ensemble des actifs TV, radio et digitaux du Groupe M6.
Quelle est la position des éditeurs vis-à-vis de Google et Facebook ?
G.C : Google et Facebook sont des plateformes qui offrent une forme de publicité complémentaire de la publicité classique, telle que le brand content à destination des plus jeunes. La télévision est quant à elle le premier média pour générer de la puissance et de l’efficacité, grâce à une exposition et une visibilité maximales des publicités.
Rappelons que les marques ont deux types d’objectifs :
- Le branding, axé sur la mémorisation et l’attribution, et dont le format roi est le spot vidéo.
- La performance, pour laquelle on recherche du clic-to-action et de la transaction.
Il faut réussir à concilier les deux. Nous savons grâce aux études publiées que la TV est le média le plus efficace pour construire la notoriété et le capital d’une marque, mais aussi pour générer des ventes. Ce résultat est lié au travail de préparation que la TV réalise en amont des conversions d’achat, comme peuvent également le faire d’autres leviers tel que le search. Google et Facebook sont donc des concurrents avec lesquels il est possible de coexister.
Selon vous, quelles opportunités la TV de demain peut-elle offrir aux éditeurs pour contrer Google et Facebook ?
G.C : Tout se joue sur le contenu. Nous faisons des contenus longs que les téléspectateurs font le choix de regarder. L’attention portée à nos contenus est très forte et permet d’avoir une excellente attention publicitaire. A contrario, Google et Facebook n’ont pas encore trouvé d’expérience de contenu suffisamment qualitative pour avoir une expérience publicitaire qui le soit aussi.
Sur YouTube, la consommation des contenus courts s’apparente à du snacking. Il s’agit d’une consommation davantage opportuniste que la consommation du contenu TV. De ce fait, l’expérience publicitaire est adaptée à ce type de consommation notamment avec des formats skippables et des formats de 6 secondes imposés pour s’assurer que les publicités soient vues. Alors qu’en TV ou catch-up, regarder 1 minute de publicité avant une série de 52 minutes est parfaitement accepté par l’audience.
Sur Facebook, comme le montrent toutes les études, les utilisateurs scrollent de plus en plus vite sur le fil d’actualité. La plateforme abrite des vidéos en autoplay mais les utilisateurs ne s’y attardent pas suffisamment. Résultat : 90 % des vidéos sont vues moins de 20 secondes.
En outre, la TV adressée offre de belles perspectives pour demain. Actuellement, sur les 1 200 Mds de contacts TV, seul ¼ est monétisé. En TV, les annonceurs payent uniquement pour leur cible. Autrement dit s’ils souhaitent toucher une cible Femmes de 24/34 ans, la campagne sera vue par la France entière mais ils ne seront facturés que pour les contacts Femme 24/34 ans.
En permettant d’adapter un spot publicitaire selon la box ou l’utilisateur, la publicité TV adressée offrirait aux marques la possibilité de toucher leurs cibles sans avoir à augmenter la pression publicitaire qui reste de toute façon assez faible en TV.
Le potentiel de la TV est souvent sous-estimé à cause des métriques utilisées. Or, si l’on mesurait l’audience TV en termes de vidéos vues, on compterait en trillions de vidéos vues. En moyenne, les Français regardent la TV plus de 3h40 par jour. On peut donc imaginer le nombre de contacts publicitaires que l’on pourrait comptabiliser. 1 200 Mds de contacts, c’est beaucoup plus que n’importe quel éditeur en France ou GAFA.
En mélangeant les métriques sur la TV adressée, la puissance de la TV, premier média publicitaire serait enfin révélée.
Quelles stratégies mènent à l’heure actuelle les éditeurs pour regagner des parts sur les budgets média des annonceurs ?
G.C : L’an passé notamment, la TV linéaire était en croissance dans un marché publicitaire en légère décroissance. Ceci est en grande partie dû au fait que la TV est vraiment devenue la valeur refuge suite au scandale qui a éclaté au sujet de la visibilité et a permis de réaliser qu’en réalité la moitié des publicités étaient vues moins de 2 secondes. La catch-up, vue entièrement sur toute sa surface et avec le son a connu un retour de croissance très important. Lorsque les acteurs ont pu auditer les surfaces vues et le nombre de fois qu’elles étaient vues, ils se sont rendus compte que le niveau d’exigence et de qualité avait augmenté.
Désormais, la TV en agrégé dans sa version linéaire et digitale est un média qui gagne des parts de marché.
Il faut néanmoins rester vigilants car nous ne sommes pas à l’abri que les GAFA trouvent une nouvelle parade. En ce qui concerne Netflix, la plateforme compte de plus en plus d’abonnés mais ne monétise pas encore d’inventaire. Elle représente plus un danger pour les chaînes de type Canal Plus que les chaînes gratuites. Le monde de la publicité évolue et il faut croire en la TV…
En ce qui concerne le RGPD, où en êtes-vous ? Dans quelle mesure cette nouvelle réglementation va-t-elle vous impacter?
G.C : Nous ne sommes pas inquiétés par le RGPD car nous sommes sereins vis-à-vis de notre exploitation de la data, d’autant plus que nous disposons de plateformes loguées.
Le sujet qui en revanche nous préoccupe beaucoup est celui d’E-privacy.
En imposant que les demandes de consentement soient intégrées au sein des navigateurs et non directement sur les sites, la directive nous contraint à confier à un maillon de la chaîne du marché la capacité de gérer ou non le consentement.
Nous espérons vivement que des adaptations seront apportées à ce règlement car techniquement une fois un site blacklisté, il devient très compliqué de le whitelister.
Nous avons la chance d’avoir un contrat publicitaire avec le téléspectateur basé sur la gratuité de services de qualité en contrepartie desquels il faut voir un peu de publicité. Si E-privacy est gérée en dehors des sites, cela pourrait devenir un vrai handicap pour les éditeurs premiums.
En 2015, nous avons mis en place un login obligatoire sur 6play. Aujourd’hui nous avons un total de 21 M d’inscrits sur le site en deux ans. S’il peut paraître contraignant de se loguer pour regarder la TV, il n’est nécessaire de le faire qu’une fois et la contrainte du login peut être très vite oubliée grâce à l’attractivité d’un match de foot. En contrepartie des informations personnelles recueillies, nous pouvons proposer des services de personnalisation de plus en plus performants aux téléspectateurs. Les données collectées par le biais des connexions loguées nous permettent donc de renforcer la relation avec notre audience et nous espérons qu’E-privacy ne mettra pas en péril cette relation.
Propos recueillis par Stéphanie Silo