Les cookies comme solution pour le ciblage d’inventaires publicitaires en ligne auraient-ils leurs jours comptés ? Pour beaucoup d’éditeurs, d’annonceurs et d’analystes, c’est effectivement ce qui va se passer. Mais dans ce cas, l’industrie serait-elle vraiment prête ? Pierre-Louis Fontaine, consultant de marketing digital pour les annonceurs, répond à nos questions.
Allons-nous vers la fin du recours aux cookies et aux données tierces pour le ciblage publicitaire ?
Oui, je le pense. La vraie question, c’est en combien de temps les cookies vont-ils disparaître. Chacun a sa prévision. Pour moi, les cookies vont disparaître dans les deux ou trois prochaines années.
Les annonceurs ne veulent plus s’en servir, pour plusieurs raisons. Tout d’abord le Règlement général sur la protection des données (RGPD) exige qu’il y ait un consentement de la part de l’utilisateur. Cela a pour conséquence de restreindre la quantité de cookies disponibles. Ensuite, comme tous les acteurs n’observent pas cette exigence avec la même rigueur, la fiabilité et la qualité des cookies tiers est de plus en plus remise en question. Enfin, la preuve de leur efficacité à générer des visites et de la conversion est de moins en moins évidente. Une activation sans data tierce est souvent aussi efficace voire plus qu’avec data tierce. Alors pourquoi dépenser plus ?
Pensez-vous que l’industrie programmatique est menacée par la décision des navigateurs de bloquer les cookies tiers ?
Cela bloque l’industrie en effet car les domaines des traceurs des SSP ne sont pas les mêmes que ceux des éditeurs. Mais il y a aussi le problème du matching. Ce dernier limite la portée des cookies parce qu’il y a toujours déperdition. En pratique, l’annonceur achète un volume garanti dont il ne disposera pas tout à fait au final. Cela pose problème.
Tous mis ensemble, cela fait beaucoup trop de contraintes comparé au business généré. C’est pour cette raison que le modèle de l’industrie va changer : on passera du cookie à l’ID unique. Ce sera la garantie que l’on cible un individu, et non un cookie distribué.
La vraie question, c’est en combien de temps les cookies vont-ils disparaître.
Quelles conséquences pour les éditeurs, si on se souvient qu’ils vendent leur data aux data brokers, en plus de s’en servir pour valoriser leurs inventaires publicitaires ?
Tout dépendra de leur profil. Les premiers à perdre seront les petits et moyens éditeurs. La taille critique limitée de ces derniers ne compensera pas les efforts à déployer pour adapter la vente de leurs données à cette nouvelle réalité. Ils devront s’unir pour y faire face. Quant aux gros, avec des millions de V.U. par mois et une masse critique conséquente, ils devront les packager d’une autre manière. Il leur faudra remplacer la logique du cookie par celle de l’ID unique. Et ils s’en sortiront sans difficultés. Je pense par exemple à Orange, SFR ou vente-privée. À terme, la disparition du cookie sera la prime aux plus gros.
Expliquez-nous ce que vous entendez par ID unique et comment cela pourra remplacer les cookies.
L’ID unique est ce qui résulte du log. Des acteurs comme Facebook, Amazon ou Carrefour n’ont pas de soucis, car leurs utilisateurs sont logués. Vous pouvez lier un acte d’achat, la lecture d’un article ou un post à un profil, que ce soit via une inscription, une carte de fidélité, un abonnement ou une connexion avec un login. Il reste que se posera toujours la question de la masse critique et des conditions de stockage de ces informations. De même, il faudra une solution technique pour permettre une nomenclature unique à toute l’industrie, un standard. Il faut que le marché puisse en effet adopter un standard d’ID unique qui soit techniquement à même d’être partagé entre DSP, SSP, etc.
C’est le cheval de bataille d’une entreprise française, ID5, justement. Vous en pensez quoi ?
ID5 sont les seuls, à mon avis, bien placés pour le faire. Ils ne disposent pas encore de la masse critique mais ils sont les premiers. Je parie sur leur déploiement mondial et l’ouverture de leur capital en bourse d’ici cinq ans grand maximum. En revanche, il leur faudra fournir un gros effort en termes d’infrastructure pour traiter d’immenses volumes de données.
Une activation sans data tierce est souvent aussi efficace voire plus qu’avec data tierce.
Quelles seront les conséquences de cette transition pour l’industrie de la publicité dans son ensemble ?
Cette transition va renforcer la position des plus gros acteurs. Les moyens et les petits n’auront d’autre solution que de se mettre ensemble pour faire du « cross-logué », c’est-à-dire pour mettre en place une base de données commune. Je donne un exemple hypothétique pour illustrer ma pensée : dans cette base de données commune, les lecteurs de 20 Minutes seraient aux côtés des audiences du replay de M6 et des abonnés des newsletters de Télérama, ils auraient une même et seule nomenclature et seraient cogérés par les éditeurs qui auraient signé le contrat pour fonder ce conglomérat. Tout reposera sur cette course à la masse critique.
On aura de nouvelles alliances à la manière d’un « Gravity » ?
Exactement, ce seront les « Gravity » de l’ID unique. Le futur est là. Quand ce type de conglomérat basé sur l’ID unique verra le jour, on pourra enfin lutter contre un Facebook ou un Google. Ensuite, une autre question se posera : comment gérer l’utilisateur logué qui aura donné des consentements contradictoires aux différents médias qu’il consomme ? Mais là c’est un autre sujet.
Les moyens et les petits éditeurs n’auront d’autre solution que de mettre en place une base de données commune.
De grands groupes d’agences médias, comme IPG Mediabrands ou Publicis, ont investi récemment lourdement dans le créneau de la data (dans l’ordre, acquisition d’Acxiom et d’Epsilon). Le blocage de cookies tiers et la baisse d’intérêt pour les données 3rd party ne peuvent-ils pas affecter leur business ?
L’importance pour ces agences d’avoir acquis ces géants de la data dépasse la seule logique de l’achat média. Elle concerne plus généralement la notion de connaissance marketing de la cible. Le business de l’agence est aussi grandement basé sur le fait de savoir raffiner (en plus d’extraire) le pétrole. C’est le fait de pouvoir dire à son client annonceur que l’on connait mieux que quiconque ses clients finaux. C’est un avantage compétitif important. Google ne peut dire autant. Google saura fournir une femme grenobloise à la trentaine et mère de deux enfants qui aura acheté du dentifrice la veille, sans pour autant savoir si c’est la cliente que l’annonceur souhaite cibler ce jour-là.
Ceci étant, ces acteurs n’auront pas de choix non plus : il leur faudra passer du cookie à l’ID unique et cela exigera des investissements de leur part.
Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre
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