Il y a encore un an ou deux ici en France certains grands éditeurs et places de marché privatives évoquaient avec prudence la notion de yield holistique et leur souhait d’un jour arriver à ce qu’ils présentaient comme un idéal à atteindre.
L’idée était alors de pouvoir mettre en concurrence l’inventaire traditionnellement négocié en direct avec les annonceurs et celui mis à disposition du marché dans le cadre des ad exchanges, et ce grâce à l’évolution et à la maturation du programmatique.
Du jour au lendemain, en France, en cette fin d’année, on se met à parler du « header bidding« , dans une sorte de processus de mimétisme direct avec ce qui se passe aux Etats-Unis, où cette notion a commencé à être évoquée de manière un peu plus systématique par la presse spécialisée cet été.
Pour faire court, en évoluant, cette technique permettrait désormais aux éditeurs de mettre en concurrence non pas les différentes parties de leur inventaire mais les plateformes supply side (SSP) elles-mêmes autour d’une même impression.
Pour que cela soit possible, il faut que les plateformes supply side acceptent de jouer ce jeu. Nous savons que certaines le font au cas par cas, d’autres non.
Mais est-ce vraiment une technique aussi nouvelle et révolutionnaire que certains le laissent entendre ? La diffusion de son usage ne révèlerait-elle pas un malaise des éditeurs, qui ne seraient plus satisfaits des ad exchanges ?
Nous avons souhaité consacrer une petite série d’interviews à ce sujet du « header bidding » en sollicitant des représentants de plateformes supply side (SSP), des régies et des plateformes d’achat en France et en Europe.
S’il est peut-être évident que les plateformes supply side ne soient naturellement pas enclines à vanter les bienfaits d’un outil qui les met en concurrence entre elles, il n’en reste pas moins qu’elles ont leur mot à dire sur ce sujet.
Nous démarrons cette série en interrogeant Julien Gardès, directeur général de Rubicon Project pour les pays du Sud de l’Europe et de la région MENA.
Quel est votre avis sur le header bidding en tant qu’outil de concurrence entre les ventes directes et en programmatique ? Le proposez-vous à vos clients éditeurs et régies ?
Excellente question qui comprend en elle-même de nombreux points qu’il serait très long d’évoquer de manière exhaustive. Le yield holistique est une demande déjà ancienne de la part de nos éditeurs et découle essentiellement du fait que nous avons observé progressivement une juxtaposition, de plus en plus importante, entre les CPMs directs et les CPMs programmatiques. Cela est la conséquence directe de la croissance continue et soutenue du programmatique et également dû au fait que les acheteurs changent progressivement leurs méthodes d’achat des inventaires, qu’ils soient display, mobile ou vidéo. Aussi, nous ne sommes plus vraiment dans une situation où deux mondes cohabitaient et parfois s’opposaient mais bien plus dans une évolution du marché publicitaire dans son ensemble. Au-delà de cet état des lieux se pose en effet la question du comment arriver à mettre en place ce fameux yield holistique.
Sur ce point, nous avons vu des phénomènes bien plus industriels que le simple header bidding. Les adservers lançant des plateformes programmatiques intégrées, à l’instar de SmartAdserver ou d’Adtech ; des adservers comme Open AdStream étant absorbés par un pure-player programmatique ; une collusion de plus en plus importante entre les outils buy-side et sell-side ; des partenariats industriels entre plateformes programmatiques et adservers comme Rubicon Project a pu le mettre en place avec Adhese en Belgique ou Adverline en France au travers de notre produit xAPI, et enfin l’essor du modèle de publisher trading desk que nous voyons se développer de plus en plus.
Au final, et pour revenir au sujet du header bidding, il permet une mise en concurrence partielle entre vente directe et indirecte, mais n’est en aucun cas une nouveauté. Rubicon Project a lancé sa solution de header bidding il y a plus de trois ans (à l’époque appelée RTP, pour Real Time Pricing) sans que ce terme de header bidding soit réellement ancré dans les esprits comme cela peut être le cas aujourd’hui. Nous proposons une solution de header bidding, de nouvelle génération, à certains de nos clients à condition qu’ils aient bien compris son intérêt premier qui est la mise en concurrence entre ventes directes et indirectes. Malheureusement, aujourd’hui dans la presse, il est mis en avant comme un outil de mise en concurrence entre différentes plateformes programmatiques se battant sur un même inventaire, ce qui est bien évidemment une grosse erreur.
En conclusion, rien de nouveau d’un point de vue purement technologique, mais bien plus un phénomène de marketing permettant à certains acteurs de se mettre en avant.
Les analystes mettent en avant le fait que les éditeurs seraient encore perdants dans le schéma actuel de fonctionnement des ad exchanges. On dit que le marché reste encore très fragmenté et compliqué avec des inventaires proposés en parallèle sur plusieurs plateformes différentes, toutes concurrentes entre elles. Et qu’au bout du compte l’éditeur est perdant. D’où l’intérêt du header bidding. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette analyse. Aujourd’hui la maturité du marché programmatique français fait que les principaux éditeurs ont compris leur avantage à ne pas diviser leurs inventaires sur plusieurs plateformes. Les principales places de marché privées (La Place Media, The Place to Bid, Audience Square) et les éditeurs les plus importants l’ont intégré et sont tous « mono-SSP ». Il y a plusieurs raisons à cela, à savoir comment scinder intelligemment son inventaire, éviter sa dilution, gérer intelligemment les priorités entre plateformes, garantir la tenue d’une stratégie commerciale et de blocklist homogène et cohérente, etc.
Il est en effet possible qu’un header bidding paramétré comme un outil de mise en concurrence de plusieurs SSPs augmente le taux de remplissage d’un éditeur à court terme, mais sur le moyen ou long-terme, les CPMs baisseront inexorablement ! Enfin, il ne faut pas oublier quelque chose qui doit, sans doute être l’élément le plus important ici : les acheteurs, qu’ils soient agences, trading desks ou annonceurs détestent retrouver le même inventaire en provenance d’une même URL dans différents ad-exchanges. Cela engendre une charge de travail plus importante pour eux et un certain flou dans leurs esprits. En effet, croire qu’un acheteur va acheter l’inventaire d’un éditeur dans chacune des plateformes dans laquelle son inventaire se trouve est une erreur de jugement. Il ne l’achètera qu’une fois, là où son prix est le moins cher et il aura tout à fait raison ! Au final, une plateforme unique par inventaire est la meilleure solution permettant de maîtriser la commercialisation de son inventaire de manière complète et sans risque.
Certains analystes ont évoqué une limite aux pratiques de header bidding en tant qu’outil de concurrence entre différentes plateformes SSP qui est le fait que l’éditeur se base sur des estimations données en amont par les différentes plateformes SSP qui en réalité ne se confirmeraient pas en pratique. On évoque des différences de l’ordre de 10% à 20% entre le prix annoncé et celui effectivement pratiqué. Etes-vous d’accord avec ces analyses ?
Je ne parlerai que de ce que je connais. Aujourd’hui, le header bidding a évolué et permet non plus de passer une estimation du CPM, mais bel et bien le CPM gagnant tel qu’il sera payé à l’éditeur après que le SSP ait interrogé toutes les plateformes buy-side auxquelles il est connecté. Encore une fois, je pense que l’on parle ici d’un effet assez pernicieux qui découle de la mise en avant du header bidding comme d’une technologie permettant la construction d’un « meta SSP ».
Rubicon Project ne va pas dans ce sens et propose un header bidding permettant une mise en concurrence entre ventes directes et indirectes afin d’obtenir ce fameux yield holistique. Dans ce cas précis, il n’y aurait pas d’erreur plus grande que de gonfler artificiellement le CPM retourné dans la bid response. De plus, aujourd’hui, l’exploitation possible en BI des données type « log level data » permettrait assez facilement à un éditeur de se rendre compte de la supercherie.
Ne pensez-vous pas que cette « vague header bidding » est symptomatique d’un certain malaise de la part des éditeurs ? Y a-t-il des choses à améliorer dans le fonctionnement des ad exchanges d’après vous ?
Je pense que la France suit inexorablement les tendances observées précédemment en Angleterre et encore plus en amont aux Etats-Unis. Le header bidding est une de ces tendances, nous en avons vu d’autres de par le passé et d’autres viendront encore à n’en pas douter. Aujourd’hui, les éditeurs sont confrontés à de gros challenges, peut-être les plus importants qu’ils n’aient jamais eu à traiter : la mutation vers les métiers du programmatique qui est cependant plus une opportunité sans précédent qu’un réel challenge, un environnement où les supports mobiles deviennent majoritaires mais où leur monétisation reste encore délicate, l’appréhension de nouveaux formats tels que le native advertising et bien évidemment la montée très inquiétante de l’usage des ad-blockers. Aussi, il peut paraître judicieux pour un éditeur de mettre en place une solution de header bidding, si tant est comme je l’ai expliqué précédemment, qu’elle soit mise en place dans le cadre d’une saine concurrence entre ventes directes et indirectes.
Plus généralement, je constate depuis plus de cinq ans maintenant l’évolution du programmatique et des ad-exchanges. Notre industrie a su pivoter très habilement au fil des années en passant d’une approche 100% performance sur des inventaires majoritairement BTF et peu visibles, à une approche beaucoup plus premium où à présent l’ensemble des formats des éditeurs sont disponibles sur les ad-exchanges sans réelle difficulté dès lors que les bons choix technologiques ont été opérés et mis en place. Je ne dirais pas que nous sommes dans un monde parfait mais que cependant de très grands progrès ont été opérés depuis l’époque où la mise en place d’un simple dealID cross-platform paraissait être un problème insoluble !
Quelles sont les priorités de Rubicon en cette fin d’année pour 2016 en France ?
Disons que nous sommes bien occupés ! Nous allons très prochainement communiquer sur de nombreux éditeurs ayant décidé de nous faire confiance, le lancement à grande échelle de nos solutions vidéo et le développement de notre offre mobile (certains ne le savent pas mais nous sommes d’ores et déjà la 3e plus grande plateforme programmatique mobile mondiale). Sans oublier la mise sur le marché de nos solutions en termes d’automatisation du garanti suite à nos acquisitions d’iSocket et ShinyAds. Enfin, Rubicon Project a annoncé très récemment, aux Etats-Unis et en Angleterre, des partenariats d’envergure avec des acteurs du DOOH (Digital out of Home) et j’ai à cœur de développer ce produit sur le marché français !
Luciana Uchôa-Lefebvre