Si bien souvent on oppose les éditeurs aux GAFA bien trop imposants, les plateformes peuvent également les aider à atteindre leurs objectifs. Facebook peut notamment être un allié pour initier la conversation avec ses audiences et nourrir des débats d’idée. Nous interrogeons Bruno Latapie, Directeur Monétisation, Print & Digital de 20 Minutes à propos de ce paradoxe.
Dans quel contexte évolue 20 Minutes ? Comment sont organisées ses activités de monétisation ?
B.L : Le service monétisation, print et digital regroupe une cinquantaine de commerciaux répartis en 5 pôles (culture, emploi/formation, local/région, agence) pour la monétisation de l’audience. L’audience de 20 Minutes est majoritairement digitale (¾ de l’audience). Elle représente 16 millions de visiteurs uniques, 21 M de lecteurs dont 5 M en print. 20 Minutes se situe dans le top 5 des publishers et dans le top 3 sur la partie mobile. Car l’audience est aussi mobile : sur les 16 M de VU, 10 M proviennent du mobile. L’utilisation des environnements web mobile et app est en effet très forte.
20 Minutes est donc une marque très digitale. Si la digitalisation de la marque s’opère aujourd’hui grâce aux commerciaux, cela fait plus de 4 à 5 ans que la rédaction est 100% digitale : les papiers sont digitaux et intègrent même de l’Intelligence Artificielle. Nous pensons qu’il faut être présent où se trouve le public, créer de la conversation et s’appuyer sur des innovations fortes pour avoir toujours un temps d’avance et proposer un service unique. Il est aussi important pour 20 Minutes d’avoir une forte agilité.
Quelle est la position des éditeurs premiums vis-à-vis de Google et Facebook ? Concurrent ou partenaire ?
B.L : Nous sommes plus sur une relation “partenaire”. Aujourd’hui, ⅓ du trafic de 20 Minutes provient des réseaux sociaux dont une grosse partie de Facebook. Nous collaborons avec Facebook tout en conservant l’ADN de 20 Minutes mais cherchons toutefois, par le biais de l’innovation et de la recherche, à être indépendants de ces acteurs. Nous travaillons beaucoup avec Facebook contre le développement des Fake News en nous assurant de ne pas publier ni relayer de fausses informations, ce qui est en totale adéquation avec nos valeurs (nourrir des débats d’idée, rechercher et vérifier les informations dans le but de fournir une information fiable et non partisane).
Le programmatique est en train de casser les frontières. Désormais, tout le monde peut acheter partout. Les éditeurs premium ont donc un grand rôle à jouer dans la purification du contenu tout comme les gros réseaux tels que sont Google et Facebook.
Quelles stratégies menez-vous pour exister face aux géants ?
B.L : La stratégie c’est de se diversifier et de ne pas dépendre de ces plateformes. Chez 20 Minutes, le trafic est réparti comme suit : ⅓ provient des réseaux sociaux, ⅓ du référencement et ⅓ de manière naturelle. L’idée est de garder cet équilibre qui nous convient puisque nous créons aussi de la conversation sur Facebook notamment via des groupes d’échanges tels que le groupe Facebook “MoiJeune” qui cible les Milleninials. Facebook n’initie pas la conversation mais offre des moyens de converser. C’est donc à nous d’engager cette conversation.
La conversation avec l’audience fait partie de notre ADN tout comme de notre stratégie et nous utilisons Google et Facebook dans ce sens.
Nous misons aussi beaucoup sur l’innovation : nous avons notamment un pôle R&D très concentré sur le sujet des chatbots intégrés sur le site aussi bien sur sa version desktop que sur mobile pour créer une conversation avec l’utilisateur, lui proposer des contenus à lire ou simplement de discuter avec le bot, répondre à ses besoins et ainsi le fidéliser. A l’heure où Google, Apple et Amazon ont développé leurs assistants vocaux, nous nous intéressons également de plus prêt à l’audio et à la voix qui représentent un véritable enjeu et sont un nouveau moyen de créer de la conversation. Nous commençons tout juste à créer des podcasts pour proposer aux internautes de consommer l’information de diverses manières.
En outre, l’action commerciale est également très importante. Aujourd’hui, l’ensemble des commerciaux sont formés aux nouveaux outils et codes marchés et vont monétiser les inventaires en gré à gré ou en programmatique via des deals. Quant au header bidding, il nous permet de monétiser notre inventaire en connectant une multitude de sources de demande dont Google, Facebook.
Comme la majeure partie des éditeurs : on cherche en revanche toujours à reprendre la souveraineté des inventaires et ne pas être dépendants.
Les alliances telles que Gravity ou Skyline sont également de bonnes stratégies pour peser davantage face aux géants.
Et le RGPD ?
B.L : Cette nouvelle réglementation est une opportunité d’apporter plus de transparence au marché avec de nouvelles initiatives telles que Digital Ad Trust ainsi qu’une évolution des formats et de la visibilité des inventaires qui sont des sujets sur lesquels nous travaillons beaucoup afin de maximiser les performances.
Le règlement E-privacy est celui que nous appréhendons le plus car il promet un vrai bouleversement du côté des éditeurs.
Propos recueillis par Stéphanie Silo