L’année 2019 sera-t-elle témoin du décollage de la publicité ciblée en linéaire ? Quelles tendances peut-on identifier sur le terrain de la convergence entre la télé et la vidéo en ligne ? Nous interrogeons Thomas Luisetti, directeur produits, opérations et technologies digitales à FranceTV Publicité.
2019, est-ce l’année du décollage de la publicité ciblée en télévision linéaire ?
Il est difficile de dire que cela aura lieu cette année : la loi en vigueur ne le permet pas. Mais il est vrai que beaucoup de réflexion et d’initiatives sont en cours depuis plusieurs mois pour préparer le jour où la loi autorisera la publicité segmentée sur la télévision linéaire. En témoigne le communiqué de presse commun de l’AFMM et du SNPTV [lire ici]. Nous travaillons avec eux pour anticiper l’évolution de la loi. Il y a beaucoup à prévoir pour que l’expérience publicitaire soit excellente. Il nous faut en effet préparer l’arrivée de la publicité segmentée sur le linéaire. Et ce à la fois sur l’IPTV, en lien étroit avec les opérateurs, comme sur la TNT, ce que nous avons déjà testé avec TDF.
Le jour où ce sera possible, quels critères et données permettront aux chaînes et aux annonceurs de communiquer d’une manière plus ciblée avec leurs audiences ?
Nous disposons d’un catalogue de données que nous utilisons déjà en replay, dans le cadre de notre offre data en IPTV en partenariat avec SFR Numericable. Il y a trois grands types de critères qui permettent la segmentation. Tout d’abord, il y a la data géographique, dont la granularité dépend des objectifs de campagne. Ensuite, les données sociodémographiques classiques dont on se sert déjà sur le numérique et sur la télévision, comme le sexe, l’âge et les catégories socio-professionnelles. Il y a enfin le ciblage par « moments de vie », comme l’arrivée d’un enfant ou la préparation d’un déménagement. Ces données sont un peu plus difficiles à collecter mais à forte valeur ajoutée.
Toute la difficulté c’est de faire le lien entre un foyer et un profil, non ?
C’est un point qui reste à adresser. La data sera principalement sur le foyer, c’est tout l’intérêt de la donnée géolocalisée. Pour les deux autres types de données, il sera très important d’avoir une vision sur celui qui est devant la télé assez rapidement. Nous savons par ailleurs qu’un pourcentage élevé du visionnage du téléviseur se fait seul, ce qui est déjà une réponse en partie. Mais nous devrons travailler avec les fournisseurs d’accès internet (FAI) et avec TDF pour essayer de connaître leurs profils précisément ou suivant une approche par probabilité. Ce sujet est complexe, nous le ferons étape par étape, progressivement.
Quel est aujourd’hui le niveau de convergence possible entre le numérique et le linéaire ?
C’est un vaste sujet qui va continuer de focaliser l’attention de l’industrie. Surtout si la publicité segmentée devient possible sur le linéaire. En 2018 et ces dernières années, nous avons eu les premières preuves de cette convergence avec la proposition de cibles communes entre la télé et le digital.
C’est ce que nous faisons à FTP par exemple en proposant les « green spirit », les « bio attentifs », les « made in France »… Les consommateurs sensibles à ces notions sont des cibles en GRP pour la télé et en CPM sur le digital. C’est ainsi une manière de travailler la data de façon globale en digital et en télé.
C’est également ce que nous faisons avec les acteurs du drive to web, pour montrer l’impact des campagnes télé sur le digital. Nous pouvons mesurer le trafic que les campagnes télévisées génèrent en ligne. Ceci étant, nous sommes encore loin d’un indicateur commun entre ces deux environnements. On sait que l’on ne pourra plus faire du GRP d’un côté, et du CPM de l’autre. Il faudra trouver le moyen de traduire cette globalité en monnaie d’échange sur le marché.
Qu’est-ce qui d’après vous marquera le secteur de la publicité cette année ?
Nous identifions deux grandes tendances, à commencer par une plus grande priorité donnée par le marché à la qualité publicitaire. On est arrivé à un tournant dans l’industrie, marqué par une forte défiance des utilisateurs à l’égard de la publicité numérique et de ce que l’on fait de leurs données. Notre régie est fortement engagée dans une volonté de donner aux utilisateurs des raisons pour rétablir un rapport positif à la publicité digitale. Nous voyons d’ailleurs beaucoup d’initiatives de l’industrie dans ce sens, comme l’entrée en vigueur du RGPD et le lancement du label Digital Ad Trust.
Chez FTP nous avons déjà mis en place quatre engagements en faveur d’une publicité « raisonnée » sur le digital. Il s’agit pour nous tout d’abord de renforcer la maîtrise de l’intensité publicitaire. Seuls 2 % du temps passé à visionner des vidéos sur France.tv sont préemptés par des contenus publicitaires. Non seulement cela favorise la qualité de l’expérience utilisateur, comme cela maximise l’efficacité publicitaire. La raison est qu’il est beaucoup plus facile pour une marque d’émerger dans un tunnel avec peu de spots.
Nous adaptons également systématiquement le temps publicitaire à la durée du contenu visionné, aux profils et aux usages. La publicité n’est pas diffusée dans les contenus jeunesse et seulement un pre-roll est affiché aux millennials. Nous appliquons également le droit à l’erreur. Ainsi, lorsque l’internaute ferme un contenu vidéo avant une minute d’exposition et qu’il ouvre un autre, on ne lui affiche pas de pre-roll à nouveau. Enfin, nous avons supprimé les formats jugés intrusifs. Nous allons continuer à travailler dans ce sens en 2019.
Et la deuxième tendance ?
La deuxième tendance forte de cette année est la simplification de l’achat et de la vente d’inventaire en ligne. C’est notamment le cas avec avec la généralisation du programmatique garanti en vidéo. Les acteurs de l’ad tech essayent de le développer depuis plusieurs mois. Le but est de nous permettre de garantir un achat en programmatique comme on le fait en gré à gré, de manière sécurisée et sans déperdition technique.
Cela va s’accélérer en 2019. Désormais le programmatique pourra garantir une livraison et un ciblage et aller jusqu’au bout du processus d’automatisation. C’est une super nouvelle pour nous. Il faut savoir qu’une grande partie de notre inventaire de vidéo digitale se commercialise encore de façon traditionnelle.
Cette volonté de simplification nous a poussés à développer des initiatives chez nous. Nous lançons ce début d’année « Adspace », une plateforme d’achat et d’optimisation sur l’ensemble de nos supports, y compris en télé classique.
Quelles innovations technologiques vous permettent de répondre aux mieux aux attentes des annonceurs ?
Tout ce qui peut simplifier l’achat répond mieux aux attentes des annonceurs. Un exemple fort est Sygma. Sygma représente pour nous une innovation technologique. Elle nous permet d’offrir aux annonceurs de la vidéo ciblée en programmatique et sans risque de fuite de données. Nous travaillons en ce moment sur d’autres innovations. Nous mettons au point un algorithme pour mieux déterminer les moments les plus propices pour les coupures en mid-roll. De nouveaux formats vidéo, moins intrusifs et plus interactifs, sont en développement.
Il nous faut absolument pouvoir optimiser tout ce qui concerne la mesure sur l’IPTV.
Quels points d’amélioration pour l’ad tech ?
Il nous faut absolument pouvoir optimiser tout ce qui concerne la mesure sur l’IPTV. L’inventaire IPTV sur le replay est le plus qualitatif sur le digital en termes de complétion, de visibilité, de mémorisation… Cependant nous ne disposons pas d’outils tiers pour mesurer ces indicateurs. Les entreprises qui mesurent ces performances pour les agences et les annonceurs sont des sociétés américaines. Or, le système des box est une spécificité française… Sans compter que chaque opérateur a mis en place sa propre architecture. Il faut donc que ces acteurs se parlent davantage. Mais on a vraiment bon espoir que cela avance.
Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre