Dans le domaine de la publicité native programmatique, les entreprises françaises ont réussi à inverser les tendances : plutôt que venir d’outre-Atlantique, des solutions sont nées ici pour s’exporter ailleurs. Mais voici qu’une importante référence de la publicité native programmatique aux États-Unis, TripleLift, construit progressivement sa place en France. Pour en savoir plus, nous interrogeons Julien Theodose, directeur commercial France.
Vous avez ouvert votre bureau en France en 2016. Or, ce marché a déjà vu naître des technologies pour la publicité native programmatique qui se sont très vite développées à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Comment s’imposer en France dans ce contexte ?
Plusieurs acteurs français étaient présents en effet, je pense notamment à Adyoulike et à Quantum. Leur présence a permis d’évangéliser le marché sur le native in-feed, ce qui est très positif pour nous. Les places sont loin d’être prises aujourd’hui, le native programmatique est encore assez nouveau pour les agences et les annonceurs et le marché n’est pas encore structuré. Il y a encore un certain nombre de freins qu’il nous faut lever.
Comment travaillez-vous ?
Nos clients sont les éditeurs, nous sommes là pour les accompagner dans l’adoption du native in-feed et dans la création d’emplacements destinés à ce format. Nous sommes intégrés à tous les DSP du marché et sommes très transparents à propos des éditeurs avec lesquels nous travaillons : ils peuvent visualiser les url sur lesquels nous sommes présents et même identifier nos emplacements sur ces derniers.
Il n’y a donc pas de phénomène d’agrégation d’inventaire ?
Non, pas du tout. Notre offre est basée sur un site à la fois, nous ne proposons pas de packages.
Quel est le coût pour l’éditeur ? Est-ce lourd à mettre en place ? Faut-il être un gros éditeur pour y accéder ?
Cela ne leur coûte pas parce que nous leurs rapportons de l’argent. Notre technologie est simple à déployer : nous fournissons un tag à l’éditeur qui sert à créer les emplacements des annonces entre les articles et à reprendre leur typo et charte graphique. Du côté des DSP, nous utilisons une technologie propriétaire de computer vision qui permet de fondre l’image fournie par l’annonceur dans le contexte éditorial de tous les éditeurs avec lesquels nous travaillons. Cet aspect est important puisque nous n’avons toujours pas de réglementation qui régisse ce procédé. Souvent les campagnes de native in-feed coûtent très cher pour les annonceurs en production de format dans la mesure où il y a autant de formats différents qu’il n’y a d’éditeurs sur le marché. Notre technologie leur offre cela : nous nous occupons de réajuster toutes leur images automatiquement et d’une façon très aboutie.
Quel est le modèle économique et pouvez-vous nous donner une idée du retour que cela peut générer pour les éditeurs ?
Nous travaillons avec les éditeurs aussi bien en open exchange qu’en PMP, nous négocions avec eux un pourcentage que l’on prend sur chaque PMP. Pour ce qui est de l’open exchange ce ne sont pas les éditeurs mais les DSP qui nous rémunèrent. C’est au CPM.
Et en termes de performance pour les annonceurs ?
Pour les formats display, les taux de clics sont compris entre 0,2 % et jusqu’à 1 % sur le mobile pour certains formats, c’est donc bien plus élevé que ce qui est généré par les bannières IAB standards. Les arrivées post-clic se situent entre 60 % et 80 %. Pour les vidéos, les taux de complétion natifs sont les plus élevés, directement après l’instream non skippable. Sur le mobile ce taux tourne autour de 20 % à 25 %, et sur le desktop il est de plus de 35 %, d’après eMarketer.
Vous disiez qu’il faut structurer ce marché. Pouvez-vous nous dire avec qui travaillez-vous en France ?
Nous travaillons, côté éditeurs, avec Microsoft, Adverline, Prisma, M6, aufeminin, Audience Square et Madvertise, et bien d’autres. Nous avons près de trois milliards d’impressions sur la France et 250 sites français transparents. Côté agences, nous travaillons principalement avec le top cinq des agences et leurs trading desks. Nous sommes plus en contact avec le trading desks. Dans un monde utopique, les SSP devraient être uniquement en contact avec les éditeurs, et seulement un peu avec les DSP et trading desks. Mais comme c’est nouveau, il faut évangéliser le marché et cela implique pour nous de rencontrer aussi les agences, là où souvent des décisions sont prises, pour leur expliquer les bénéfices de ce format.
Vous parliez aussi de freins. Quels sont les freins à la publicité native en France ?
Le premier frein vient des spécifications et de la structuration du marché : il faut travailler avec des organismes comme l’IAB pour essayer de convenir de typologies de formats à répertorier comme appartenant au native. Aujourd’hui c’est encore très flou pour les annonceurs, les spécifications sont différentes selon les DSP, les SSP et même parfois au sein des éditeurs. Il est aussi nécessaire de simplifier l’adoption par le media trader du format natif, parce que le système est encore complexe pour lui : entre le moment où l’on exprime le souhait de faire une campagne de publicité native et celui où on la met en place, il faut que ça aille beaucoup plus vite. Le media trader est le garant de la performance de sa campagne, il faut qu’il puisse avoir recours au native plus facilement.
Après l’euphorie et le buzz des années 2016 et 2017, quelles sont tendances pour la publicité native aujourd’hui ?
Il y a eu en effet un buzz il y a deux ans. Cela a fait du bien au natif pour aider à le faire connaître mais cela lui a aussi desservi puisque l’on a tendance à mélanger tous les types de publicité native. Aujourd’hui on identifie six types de publicité native sur le marché, dont les trois principaux sont : les formats du social ; les contenus sponsorisés (Taboola, Ligatus, Outbrain), qui sont très forts pour les performances et le native in-feed, contenu publicitaire correspondant à l’apparence unique de chaque éditeur proposé par TripleLift, Quantum et Adyoulike. Il est vrai qu’on entend beaucoup moins le terme « native » dans la presse, mais en réalité j’ai beaucoup plus de travail aujourd’hui qu’il y a deux ans. Les agences commencent à bien intégrer cette notion. On est passé du buzzword à du concret sur lequel les agences travaillent et ont de vraies demandes. La troisième étape sera de voir ces campagnes prendre de l’ampleur en termes de volume.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre