Comment faire pour réconcilier les données issues de l’expérience client avec celles de leurs parcours en ligne pour anticiper les besoins des personnes lorsque l’on est présent partout dans le monde? C’est peut-être l’un des plus importants challenges en matière de marketing digital que se fixe aujourd’hui AccorHotels, groupe français d’hôtellerie parmi les plus importants au monde. Antoine Dubois, vice-président global de marketing stratégique du groupe, nous expose sa vision.
Entre les avancées et les inconvénients du digital, comment faites-vous pour en tirer le meilleur parti ?
Notre virage vers le digital a eu lieu il y a trois ans. Nous voulions que notre marketing puisse bénéficier de tous les avantages que le digital offre en matière de communication et d’expérience client. Nous nous sommes très vite rendu compte que, bien qu’il existe aujourd’hui beaucoup d’outils à notre disposition et autant d’acteurs pour nous les expliquer, il est très difficile de trouver le bon partenaire dans notre secteur. Comme le répète Maud Bailly depuis son arrivée dans le groupe, en hôtellerie nous devons personnaliser l’expérience de nos clients, faciliter le plus possible le système de réservation et offrir de la fluidité à nos consommateurs où que l’on soit dans le monde. Sachant que nous ne pouvons internaliser l’ensemble de nos services marketing et de communication digitale, il nous a fallu quelques années pour aboutir à un schéma optimisé. Nous avons trouvé des partenaires pour avoir un bon outil de tracking et d’achat média programmatique opérationnels ainsi qu’une bonne agence média pour nous accompagner à l’international.
Concernant la data et l’achat média, êtes-vous équipé avec des outils en interne ou faites-vous appel à des prestataires extérieurs ?
Nous avons choisi une démarche complémentaire entre équipes internes et accompagnement via agence. Le fait que la data serve à personnaliser l’expérience client est acquis. Le débat chez nous porte aujourd’hui plutôt sur où placer le curseur de ce que nous externalisons et de ce que nous traitons en interne. Nous utilisons un outil data venant d’un prestataire externe, Artefact, puis nous disposons de nos propres analystes.
Qu’est-ce que la data change pour vous concrètement ?
Nous avons plus de 32 millions de personnes dans notre base de données qui sont membres du Club AccorHotels, notre programme de fidélisation. Avant, nous avions déjà des gens fidèles encartés avec des e-mails et certaines données. La différence aujourd’hui, est que la data doit nous permettre de réconcilier ces éléments très fonctionnels avec des données liées au terrain. Il est important pour nous de savoir que Joséphine, qui a dormi dans un Ibis, aime lire Le Figaro et préfère aller au théâtre plutôt qu’au musée lorsqu’elle voyage. Notre ambition est de le savoir en mixant la data d’éléments classiques de fidélisation aux informations que les hôteliers remontent. Ces professionnels, sur le terrain, complètent les fiches client (appelées AccorHotels Customer Digital Card) avec des données liées à leur connaissance propre du client. L’hôtelier est le point central de la relation client. Le jour où Joséphine dormira dans notre Pullman de Londres dans le cadre de son travail, l’hôtelier londonien, grâce à ACDC, connaîtra déjà ses préférences.
Là vous me parlez de vos données propriétaires. Est-ce que vous cherchez aussi à connaître le comportement de navigation de vos clients ?
Pour l’expérience hôtelière en tant que telle, nous considérons aujourd’hui que ce n’est pas nécessaire. En revanche pour générer de la rétention, à travers notamment le retargeting, c’est en effet ce que nous regardons. Pour cela nous nous sommes dotés depuis longtemps d’un outil de tracking, le tag manager de Google, qui nous permet de suivre la navigation du client même en dehors de notre site et d’acheter de l’inventaire avec Criteo ou d’autres prestataires pour le retargeter. Aujourd’hui, le challenge se situe plutôt dans la personnalisation de l’expérience digitale. Il faudra qu’à l’avenir nous soyons capables d’anticiper les besoins et de personnaliser l’expérience de nos clients lorsqu’ils ouvrent notre application ou qu’ils visitent accorhotels.com, notre plateforme digitale commerciale. Ceci dans le but de leur proposer un service qui soit vraiment pertinent. Nous arrivons à le faire aujourd’hui quand la personne a réservé un séjour. Mais réussir à anticiper des informations afin de lui adresser des messages pertinents en amont de sa réservation reste notre défi.
Il faudra qu’à l’avenir nous soyons capables d’anticiper les besoins et de personnaliser l’expérience de nos clients lorsqu’ils ouvrent notre application ou qu’ils visitent accorhotels.com.
Votre client aura tendance à adorer ce type d’utilisation de la data, parce qu’il comprendra que c’est un service qu’on lui offre. En revanche, il aura tendance à ne pas supporter le retargeting lors de sa navigation sur le web ou quand il lit son journal en ligne. Quel est votre avis ? Quelle est la limite du digital et de cette personnalisation eu égard à la vie privée des gens ?
Il y a différents segments de clients. Dans notre univers nous avons les frequent ou business travellers, qui sont extrêmement connectés et habitués à être retargetés. Voyager c’est leur vie. Cette population n’est donc pas affectée négativement par le retargeting. En revanche, pour les clients de type « loisirs » – des personnes qui prennent l’avion ou réservent une chambre d’hôtel une fois tous les 18 mois (c’est la moyenne en France) –, nous avons mis en place des règles qui limitent cette exposition: nous nous arrêtons à deux propositions. Ceci est nécessaire parce que, dans ces cas, nous ne faisons pas partie de leur vie quotidienne. Pour ces cibles, notre vision est de développer une stratégie d’offre de services disponibles dans nos établissements et facilitant leur vie quotidienne. Ces services nous permettront d’augmenter le nombre de touch points que nous avons avec eux de manière beaucoup plus régulière. Par exemple, que vous puissiez récupérer à l’hôtel vos affaires déposées au pressing après l’heure de fermeture de ce dernier, ou des fleurs, ou encore que vous puissiez suivre vos cours de yoga dans nos établissements, etc. Nous travaillons en ce moment sur toute une palette de services pour placer l’hôtel au cœur de la vie quotidienne des gens.
Arrivez-vous aujourd’hui à concilier toutes les données dont vous disposez de vos clients avec leur activité en ligne ?
Aujourd’hui nous arrivons à corréler le séjour des personnes entre les différents hôtels à travers le monde. Mais corréler toutes ces informations avec leur parcours digital c’est tout l’enjeu du futur pour AccorHotels. Et tout le monde a envie de le faire. Trouver le bon partenaire et la bonne technologie lorsque vous êtes présent partout dans le monde, en tenant compte des réglementations de chaque pays, n’est pas simple.
Trouver le bon partenaire et la bonne technologie lorsque vous êtes présent partout dans le monde, en tenant compte des réglementations de chaque pays, n’est pas simple.
Les grands annonceurs mondiaux réduisent de manière assez drastique leurs investissements dans les grandes agences média. Vous en pensez quoi ?
Ce n’est que mon opinion mais je pense que les agences médias se sont extrêmement « juniorisées » du fait des fees qui ont certainement baissé et du modèle économique qui est en train d’évoluer. Lorsque l’on arrive à une masse critique d’investissements, la question se pose en effet entre garder l’agence ou plutôt embaucher un expert. Nous n’en sommes pas là. Nous sommes très contents d’utiliser nos agences pour gérer l’ensemble de nos investissements. Mais il est vrai que les agences doivent se réinventer. Aujourd’hui tout le monde veut s’occuper de la data, du digital et des investissements média des grands groupes, que ce soit des agences de consulting, de création ou de social.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre
(Images: Shutterstock et AccorHotels pour la photo d’Antoine Dubois.)