Permettre aux internautes de vendre leurs données et introduire confiance et transparence dans l’écosystème de la publicité en ligne. C’est le double objectif que se fixe Varanida, une toute nouvelle jeune pousse française. L’entreprise a été lancée au printemps dernier par deux ingénieurs issus du secteur des technologies marketing et un entrepreneur du gaming. Et elle le fait en se basant sur un système de blockchain. Ce projet très astucieux et créatif ne manque pas d’ambition. Nous interrogeons Anji Ismaïl CEO et co-fondateur de la start-up pour comprendre tout cela dans les détails.
Que proposez-vous précisément ?
L’écosystème de la publicité digitale souffre d’un problème de fond : le manque de confiance entre les différents maillons de la chaîne. Les annonceurs mettent la pression sur les agences, qui font de même avec les prestataires technologiques. Ces derniers mettent la pression sur les éditeurs, qui pour leur part tentent de récupérer un maximum de données pour contenter toute cette chaîne de valeur.
Au final, les gros gagnants restent toujours les mêmes – Google, Facebook…– et tout le monde s’en plaint. Ce manque de confiance est lié à la fraude qui sévit dans cette industrie. Il est aussi le résultat de l’absence d’un standard de mesure des performances des campagnes. Cela a pour conséquence de générer un désaccord chronique sur les statistiques. L’introduction de la blockchain permettrait à tous de suivre tout ce qui se passe et ainsi d’y rétablir la confiance. La blockchain est une base de données complexe mais transparente qui permet d’inscrire des transactions vérifiables.
Mais comment le mettre en place concrètement ?
Il faut tout d’abord définir un protocole, c’est-à-dire un ensemble de règles acceptées par les participants. Ensuite, on développe des applications spécifiques obéissant à ce protocole. Par exemple, pour réconcilier les statistiques de diffusion des campagnes ou pour contrôler la fraude, en identifiant le trafic non-humain. La blockchain peut également servir à suivre avec précision l’utilisation des budgets dépensés. Son principe est de permettre à tous les participants de tracer les transactions. Elle rend tout le processus complètement transparent.
Oui mais il faudrait l’adhésion de toute l’industrie pour que ça marche…
Notre intention n’est pas de remplacer des systèmes existants mais de permettre aux marques de se servir de nos API pour opérer des audits a posteriori, pour vérifier que les bases de données des prestataires technologiques coïncident avec ce qui a été « tracké » côté campagne. Ainsi, dans ce cas, le script qui va embarquer la publicité intégrera un pixel de Varanida. Par exemple, pour une marque de luxe qui souhaite que sa campagne soit diffusée uniquement sur vingt sites web, nous pourrons savoir si des affichages ont lieu en dehors de ce périmètre, auquel cas on enregistrera l’opération dans la blockchain.
Le but est donc de permettre à la marque de contrôler et d’enregistrer tout ce qui sort du périmètre. A la fin de la campagne, si notre pixel n’est pas appelé en dehors du périmètre, aucun enregistrement ne sera intégré à la blockchain, ce qui signifie que tout s’est bien passé. Etant une base de données décentralisée, la blockchain est inviolable.
Le principe de Varanida est par conséquent de proposer des pixels de contrôle pour les marques et les agences ?
Oui, nos clients seront les agences. Nous développons des API: quelqu’un qui voudra s’assurer que sa campagne respecte bien ce qui a été demandé pourra récupérer ce morceau de code et l’intégrer à sa campagne. Nous proposerons ainsi aux agences un SDK avec un répertoire de codes afin de leur permettre de contrôler le respect des périmètres de leurs campagnes.
Quelles API sont déjà en phase de tests ?
Nous testons en ce moment même une application qui concerne directement l’utilisateur. La prochaine à être testée concerne le périmètre des campagnes.
Qu’est-ce que vous proposez aux utilisateurs ?
La donnée appartient à l’utilisateur. Le système de blockchain nous permet de concevoir une sorte de « porte-monnaie à données », afin que l’utilisateur décide avec qui il souhaite les partager pour, en échange, obtenir un chèque-cadeau, un code promo, l’accès à un contenu premium, voire des tokens. Cela permettra à l’éditeur de capter la donnée et de l’exploiter avec l’accord de l’utilisateur, qui en aura pleinement la maîtrise.
Vous considérez donc que le RGPD ne suffit pas pour garantir ce contrôle ?
Le cookie peut échapper au contrôle des éditeurs, et de nombreux cas de fuite de données peuvent avoir lieu sans que ces derniers ne soient au courant. Leur métier n’est pas de passer leur journée à contrôler tout ce qui est fait par la suite. La collecte de données via des cookies n’est pas du tout transparente pour l’utilisateur, c’est une solution obsolète. Des entreprises comme Criteo ont du mal à se réinventer parce que la technologie cookie est en train d’agacer beaucoup de monde.
La solution que nous proposons permet de stocker la donnée chez l’utilisateur, qui en garde la pleine propriété. Avec une interface simple et compréhensible, il peut contrôler la manière dont ses données seront exploitées. Un peu comme sur son compte bancaire, il bénéficiera d’une traçabilité totale sur chaque transaction.
Nous avons ainsi développé et lancé une première application qui fonctionne comme une extension du navigateur. Il s’agit de « ad controler », qui fonctionne à la manière d’un ad blocker. Elle permet de choisir de voir la publicité et de partager ses données uniquement avec des applications et des sites précis sous réserve d’une contrepartie. Cette première application nous sert à montrer comment ces dispositifs peuvent évoluer. Lancé il y a cinq mois, l’extension a déjà été téléchargée par 150 000 utilisateurs. Pour le moment, nous sommes encore à l’étape des early adopters : on les rémunère avec des tokens de notre blockchain qu’ils pourront échanger ultérieurement contre des avantages, des produits voire de l’argent.
Mais l’industrie a-t-elle vraiment intérêt à ce que l’utilisateur vende quelque chose à laquelle elle accède déjà aujourd’hui et souvent encore hélas à son détriment ?
Nos premiers pilotes captent un intérêt fort de la part d’éditeurs et d’agences. Nous sommes conscients qu’Internet est possible gratuitement grâce à la publicité, néanmoins la pratique actuelle peut être améliorée. Ce système permettra aux publishers de mieux monétiser leurs audiences en leur offrant une contrepartie. Aux marques il assurera une meilleure diffusion de leurs publicités. Tout le monde de l’ad tech reconnaît que 90 % de la valeur est captée par Facebook et par Google.
Nous travaillons avec de grands éditeurs et groupes d’agences média pour formaliser les contreparties qui seront proposées aux utilisateurs. Un autre avantage de ce système est qu’il permet à l’éditeur et à la marque de capter beaucoup plus de données qu’à travers des cookies. Avec le consentement de l’utilisateur, ils pourront lui poser directement des questions pour mieux cerner son profil et ce qui l’intéresse. Ils pourront l’engager dans des programmes de fidélité et de rewards en échange.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre
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