Conçu au début des années 2010 par le co-fondateur d’AdThink media, Sylvain Morel, « BIG » (www.this-is-big.com) est la première place de marché de data au monde sur laquelle ces data se négocient aux enchères.
Le projet désormais porté par Jonathan Métillon, 33 ans dont 15 de webmarketing. Première place de trading de data au monde, certes, mais ça vend quoi à qui, cette chose-là ? Exploration du sujet avec Jonathan Métillon.
Alain Laidet : Une place de marché de data, c’est quoi ?
Jonathan Métillon : C’est une nouvelle étape dans la valorisation des données d’une entreprise. Si l’on voulait simplifier à outrance, c’est une place de marché de cookies. Aujourd’hui, l’état de l’art partagé par le marché consiste à créer sa « DMP » (data management platform). Une DMP, ce n’est rien d’autre qu’une base de données de cookies, en fait. On peut la créer soi-même, ou en déléguer la réalisation à un tiers. Très bien. Mais ces tiers, justement, pourraient aussi commercialiser ces données. C’est le pas que nous avons franchi, en améliorant au passage le scénario.
Chez nous, la DMP est gratuite. Un éditeur, un annonceur peuvent s’inscrire sur notre site et bâtir leur propre DMP . Nous assurons son cryptage (son inviolabilité) et son insertion dans notre marketplace. C’est une DMP en fremium, en fait. Mon métier, ce n’est pas de faire de l’argent sur ces DMP. Donc je les offre. Par contre, je gagnerai ma vie sur le trading des datas qui utilisent ces DMP.
A.L : La CNIL en pense quoi, de la monétisation de cookie ?
J.M : La CNIL est comme nous, elle est très irritée par le croisement de bases nominatives. Nous nous l’interdisons également. Nos métiers sont basés sur ce respect absolu de l’anonymat. Il n’y a chez nous aucune PII (information personnelle identifiable)
Car le vrai souci, ce n’est pas le gendarme CNIL. Le risque majeur, c’est de se faire pirater ses bases. Puisqu’il n’y a rien d’impossible là dedans, la meilleure protection consiste à rendre ces bases inutilisables pour quiconque s’en emparerait, donc de les anonymiser. C’est notre ligne rouge.
A.L : Quelle est l’originalité de « BIG » ?
J.M : En fait, nous ne sommes pas la première place de marché de données. Par contre, nous sommes le premier vrai espace à proposer un algorithme de fixation des prix entre l’offre et la demande. On peut enfin enchérir sur la data. C’est ce principe là, qui n’est pas neuf en soit, que nous avons voulu intégrer dans ce marché de la data . Il faut que la data se vende au prix du marché et les mécanismes de « bid » (enchères) sont les meilleurs pour parvenir à fixer ce prix de marché. BIG est un peu le Nasdaq de la data. J’ai fixé mes règles. Le marché en voudra, ou pas. Mais il est certain qu’il y trouvera un intérêt. BIG est la première plate-forme d’achat de data aux enchères.
A.L : Qui sont vos clients ?
J.M : Avec notre modèle, les frontières bougent énormément. Un propriétaire de data, d’ordinaire, confie ses données à des tiers qui les exploitent. Nous estimons qu’il est désormais capable d’autonomie et qu’il peut lui-même venir sur la plate forme, créer les segments de données qui l’intéressent, choisir un script et les distribuer aux gens qui sont sur le marché souhaité. Avec BIG, il n’y a plus forcément de clients et de fournisseurs. Nous devenons tous des traders. Un annonceur a des datas. Donc il peut aussi vouloir les rentabiliser. BIG lui permet cela.
AL : C’est entré dans les mœurs des annonceurs ?
J.M : Nous avons quelques centaines de comptes, « seulement », mais c’est normal, le marché doit se faire ! D’où notre autre innovation : on va pouvoir fixer un prix plancher (« price floors ») aux datas que l’on souhaite commercialiser via BIG. Un mécanisme qui rassurera les nouveaux entrants. Ce début d’année, nous proposons une nouvelle fonction, les « direct deal » : on pourra, via la plate-forme, réserver la vente de ses données à des clients privés. La multiplication des mécanismes de ce type devraient aider le marché à décoller.
A.L : Mais les annonceurs manient-ils correctement ces datas ?
J.M : On constate qu’il y a une énorme appétence aujourd’hui : tous les annonceurs ont de la data, mais ce sont des trésors enfouis.
Aujourd’hui, ils peuvent tous collecter des mails, des identifiants twitter, facebook, que sais-je. Mais pour les exploiter, il faut les relier à des écrans adressables par la publicité (les écrans derrière lesquels sont les consommateurs)
Là où nous entrons en jeu, c’est de savoir les comparer, en préservant l’anonymat. Nous sommes capables de générer des empreintes uniques.
J.M : Je vais prendre un exemple. Je sais que monsieur X veut un SUV. Je peux lui envoyer un mail, ou plusieurs fois un mail, mais ça peut ne pas fonctionner.
Par contre, si seulement je pouvais le toucher partout, sur tous ses écrans, et créer ce bridge entre son adresse email et l’univers multi-screen qui est le sien, ne serait-ce pas plus efficace ?
Notre plate-forme autorise cela. C’est du CRM retargeting, grâce au « data on-boarding » (embarquement de données, mais pas sur notre plate-forme, sur une plate-forme d’achat publicitaire …).
Et ça marche. Par exemple, nous avons reçu une base de 900 000 mails d’un partenaire. On l’a traité (cryptage, anonymisation et insertion dans notre place de marché). A l’arrivée, on a réussi à matcher une proportion significative de ces mails. Et cette audience a très très bien converti. C’est du reciblage CRM, en quelque sorte, anonymisé.
A.L : quels sont les derniers chiffres connus de la plate-forme : ?
J.M : BIG a été lancé il y a un an. Une deuxième version de la web app a été lancée en juin dernier. Nous suivons environ 100 millions d’utilisateurs en tout. On va vers une « comodisation » des données, en fait. Et une nouvelle génération de data traders va arriver : eux sauront exploiter et organiser les données et faire du trading avec. Et ils trouveront BIG comme outil pour y parvenir.
Propos recueillis par Alain Laidet