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Achat programmatique : « un fourre-tout publicitaire » (interview J. Pardieu, Heaven)

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Bien au-delà des effets d’annonce et des grands titres à la une sur les tendances de l’année, que pensent et pratiquent vraiment au quotidien les responsables de l’achat média d’agences du marché ? En creusant, on se rend vite compte qu’il peut y avoir bon nombre de nuances entre les discours et les pratiques et une diversité bien plus grande de choix et de partis pris. Julien Pardieu, directeur du département média de l’agence de communication digitale et de publicité Heaven (groupe Hopscotch), explique avec son franc-parler ce qui pour lui correspond aux véritables tendances de ce marché cette année.

Le désenchantement de l’achat programmatique

Heaven, Julien Pardieu.
Heaven, Julien Pardieu.

J.P. : L’essor de l’achat programmatique commence à ralentir, après plusieurs années passés à dynamiser fortement le marché. Beaucoup d’annonceurs et de professionnels de l’achat média en sortent déçus. La qualité n’est pas toujours au rendez-vous, ni la fiabilité. C’est mon constat en tout cas. En deux mots, la programmatique a tendance à rester sur ses acquis et à devenir un fourre-tout publicitaire.

La première raison est que la promesse de voir son message délivré à la bonne personne au bon moment n’est pas toujours tenue. Un exemple flagrant est la publicité dite native, que les éditeurs proposent au pied de leurs articles. Quand les marques voient la typologie d’annonces qui y sont véhiculés, elles ne souhaitent surtout pas s’y retrouver ! Et je les comprends ! Ces annonces décrédibilisent les annonceurs. Il faudrait qu’il y ait un vrai coup de balais dans ce marché.

Dans les places de marché programmatiques, les acteurs sont tous les mêmes à accéder aux mêmes inventaires. Ce qui fait la différence est le media buyer. Mais, souvent, entre la promesse du commercial d’un trading desk et la réalité de ce que fait le media buyer, il peut y avoir de grosses différences. De plus, on y constate un gros flou entre ce qui est investi et ce qui est réellement dépensé en achat média.

Misez-vous tout dans le social ?

J.P. : Je préfère en effet investir dans le social où le trafic est important et où les formats et les cadres de diffusion sont maîtrisés. De plus, j’ai dans le social l’assurance de payer le prix juste puisque nous y achetons nous-mêmes les campagnes.

Vous n’explorez par conséquent pas les inventaires d’éditeurs premium ?

J.P. : Nous travaillons également avec l’achat média chez les éditeurs, mais en gré à gré. Nous opérons des campagnes de brand content et des opérations spéciales avec eux. Nous favorisons toutes ces logiques dans le but d’intégrer le message publicitaire dans un cadre de diffusion purement qualitatif et maîtrisé. Le rôle des éditeurs premium est majeur dans ce cas, d’autant qu’ils ont l’expertise de la production de contenu, ce qui constitue une force supplémentaire.

[D’après Julien Pardieu, Heaven pilote un budget d’environ 2 millions d’euros par an en achat digital. Ils investissent la moitié en digital, et l’autre part en plurimédias traditionnels (radio, télévision, print). Ils consacrent 50% de leurs achats digitaux au social. L’autre moitié est investie en vidéo, search, display, ops, programmatique, etc. N.D.L.R.]

Des innovations en programmatique à saluer : l’audio et la pub solidaire

J.P. : Si l’ambiance semble un peu morose en matière d’innovation en programmatique, je tiens à saluer quelques belles solutions qui émergent malgré tout. Elles me font penser que le modèle programmatique peut être intéressant quand on le pratique dans de meilleures conditions.

Je pense tout d’abord à Audion [en savoir plus, NDLR.], qui propose l’achat audio en programmatique. Cette solution tient la promesse de diffuser le bon message à la bonne personne au bon moment. Je pense également à Soundcast [en savoir plus, NDLR.], qui travaille côté éditeurs en programmatique, y compris avec le podcast.

Une troisième solution émergente et innovante est Goodeed. Ce trading desk de diffusion de vidéos reverse une part de ses revenus publicitaires à des causes. Avant de diffuser la publicité, on demande à l’utilisateur s’il souhaite la voir, tout en lui informant qu’une partie de ses recettes servira à financer une cause humanitaire ou écologique.  C’est une démarche excellente car on utilise le programmatique à bon escient pour toucher la bonne audience tout en mettant en valeur le fait que l’annonceur se responsabilise. Ce dernier s’engage et invite l’utilisateur à faire de même.

Entre l’audio et la publicité solidaire, ces trois acteurs donnent du sens et revalorisent la pub là où le programmatique aurait tendance à la dégrader.

Les solutions d’attribution gratuites continuent d’appâter mais ne sont pas fiables

J.P. : Nous avons une chance énorme d’avoir le digital. Ce dernier permet de tout mesurer. Le souci est de vouloir se contenter de solutions qui sont à la fois juge et partie. C’est notamment le cas des solutions gratuites que privilégient beaucoup d’annonceurs encore, notamment les moins matures en matière d’achat média digital. Certains vont jusqu’à abandonner les solutions payantes au profit d’outils gratuits.

Il est vrai que ce type de solution attire par sa simplicité de mise en place et par sa gratuité. Mais comment être sûr à 100 % que ses résultats ne seront pas biaisés ? Comment avoir la garantie que les performances publicitaires de l’environnement de Google ne seront pas favorisées ? C’est une question de principe. On ne devrait pas donner ce genre de tâche à un acteur qui n’est pas neutre. L’attribution doit être confiée à des tiers indépendants.

 

Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre

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