1. Un levier d’optimisation pour les SSP en difficulté
Réduction des coûts d’infrastructure Face à l’explosion des bid requests liée au header bidding, les SSP ont cherché à rationaliser leur infrastructure. La curation leur permet de réutiliser des flux existants plutôt que de multiplier les sièges. Cela limite les duplications inutiles, notamment dans les environnements où plusieurs sièges reçoivent la même demande. Elle s’inscrit dans une logique de bid throttling et d’arbitrage intelligent. Moins de volume, mais mieux ciblé.
Création de valeur commerciale Les SSP s’appuient sur la force de vente des curators pour activer des deals auprès des agences. Ce rôle d’apporteur d’affaires permet aux SSP de capter de nouveaux budgets sans recruter. À cela s’ajoutent des marges spécifiques (5 à 15 %) prélevées sur les deals packagés. C’est une source de revenu additionnelle par rapport à l’open auction traditionnel. Un signal fort alors que le marché ralentit.
Recentrage stratégique face aux DSP La curation redonne du pouvoir aux SSP face aux DSP, historiquement en position dominante. En prépackant l’inventaire et en intégrant les briques de ciblage, les SSP se rapprochent du rôle de plateforme d’achat. Cela remet en cause la place centrale du DSP dans la chaîne de valeur. Un SSP comme PubMatic affiche clairement cette ambition dans sa stratégie Connect. La guerre d’influence SSP vs DSP est relancée.
2. Un outil aux multiples configurations, mais à la transparence limitée
Un marché en structuration Aujourd’hui, la curation s’appuie sur des approches très variées : ID partagés (RampID, ID5), ciblage contextuel (Qwarry, Weborama), data tierces (Eyeota, Adsquare) ou mesureurs (Scope3, IAS). Tout acteur peut ouvrir un siège curator : régie, éditeur, agence ou annonceur. L’accès est donc plus démocratisé, mais aussi plus éclaté. Cela complexifie le contrôle de ce qui est opéré côté éditeur.
Un déficit d’informations côté éditeurs Les éditeurs n’ont bien souvent aucun aperçu de qui utilise leur inventaire en curated deals. Ils ne connaissent ni les marges prélevées, ni les acteurs impliqués. Seul Xandr, selon les témoignages, permet d’identifier les curators actifs et leurs parts. Cet angle mort favorise des arbitrages opaques et des situations de désintermédiation masquée. L’absence de standard sur la transparence alimente le flou.
Un mode d’enchère parfois biaisé Le discours dominant promeut une logique de net bidding : le meilleur prix net gagne. Mais certains deals, comme les Premium Priority Deals d’Audigent, forcent le traitement prioritaire dans l’ad server. Même si un bid open auction est supérieur, il n’est parfois pas pris en compte. Ce contournement du principe d’enchère suscite des interrogations fortes chez les éditeurs. Le modèle mérite d’être clarifié.
3. Un intérêt relatif pour les éditeurs, entre revenus incrémentaux et cannibalisation
Un potentiel incrémental réel La curation peut générer de la demande additionnelle, notamment pour les éditeurs peu visibles à l’international. Le master deal devient une porte d’entrée pour des acheteurs qui ne passeraient pas spontanément par un deal ID. L’inventaire peut être enrichi avec des éléments que l’éditeur ne propose pas nativement (mesure d’attention, data retail…). C’est une extension d’offre potentielle.
Des marges souvent disproportionnées Si les marges SSP sont généralement plafonnées (autour de 15 %), ce n’est pas le cas pour les curators. Certaines marges remontées par les éditeurs montent jusqu’à 60 % du CPM. À ce niveau, la part revenant à l’éditeur est drastiquement réduite. Le retour sur valeur ajoutée devient discutable, surtout si le curator se contente d’un packaging sans optimisation. L’écosystème flirte alors avec la reconstitution d’un modèle ad network.
Un effet de cannibalisation mal assumé Plusieurs éditeurs constatent que les agences, faute de ressources, préfèrent passer par des bundles de curation que négocier des deals ID. Cela érode la relation directe et dilue la valeur éditoriale. Des régies voient leurs équipes agences fondre, car les deals one-to-one deviennent chronophages. Le résultat : la curation empiète sur les ventes directes, en contradiction avec son positionnement officiel.
4. Un contexte de recomposition du marché programmatique
Montée en puissance des connexions directes DSP–éditeurs Des initiatives comme OpenPath (The Trade Desk) ou Yahoo Backstage redessinent les flux. Des éditeurs comme The Guardian intègrent ces connexions en top 3 de leurs SSPs, quelques semaines après onboarding. Pour d’autres, comme Daily Mail, ces connexions ne représentent encore qu’un faible pourcentage des revenus. La maturité varie selon la taille des éditeurs et leur réseau commercial.
Rationalisation des stacks SSP Face à la fragmentation, les éditeurs cherchent à réduire le nombre de partenaires. Aujourd’hui, 14 à 15 SSPs représentent 90 % des revenus selon Daily Mail. La collaboration avec des acteurs de niche n’a de sens que si elle couvre plusieurs marchés ou apporte une expertise différenciante. L’opportunisme reste de mise, mais la sélection devient plus stratégique.
Désengagement progressif des revendeurs Les agences commencent à se détourner des revendeurs, considérés comme peu transparents et peu fiables à long terme. Le Goodway Group privilégie désormais les connexions directes et réduit drastiquement le nombre d’SSPs dans ses campagnes. Pour les éditeurs, continuer à travailler avec trop de sous-régies revient à courir le risque de voir ces revenus s’évaporer brutalement.
5. Un faux débat : le problème n’est pas la curation, mais le cadre général
Un déplacement de valeur, pas une création La curation redistribue les flux dans la chaîne programmatique, mais elle ne remet pas en cause la logique du marché. Elle peut récompenser les éditeurs qualitatifs, mais ne transforme pas structurellement leur modèle. La faiblesse des revenus programmatiques par rapport au direct reste intacte. Les gains marginaux ne compensent pas le déséquilibre de fond.
Un impératif de reprise du contrôle Pour inverser la tendance, les éditeurs doivent réaffirmer leur souveraineté sur leur contenu et leur audience. Cela passe par la défense de leur propriété intellectuelle face aux plateformes et aux IA. Et par une renégociation collective avec les plateformes ad tech pour mieux répartir la valeur. Les tentatives isolées sont vouées à l’échec.
Une seule option : l’action collective Que ce soit pour imposer des conditions aux intermédiaires ou négocier avec les plateformes d’IA, la seule voie viable passe par l’union. Regrouper les forces, sélectionner ensemble des partenaires SSP ou DSP, imposer de la transparence et fixer des marges plafonnées. C’est à ce prix que les éditeurs peuvent espérer sortir du piège de la commodification. La curation peut être un outil, mais pas un plan.
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