Les chiffrent l’attestent : pour qu’un éditeur puisse exister et se développer dans le numérique aujourd’hui les défis sont considérables, à commencer par la rareté des budgets publicitaires. En France, les investissements en publicité digitale sont captés à 78 % sur le global et à 90 % sur le mobile par deux leviers principaux, à savoir le search et le social, représentés par deux acteurs majeurs, qu’il n’est même plus nécessaire de nommer. Dans un tel contexte, comment tirer son épingle du jeu ? Pour tenter de répondre à cette question nous interrogeons Julien Braun, directeur général de RhythmOne en France.
Le modèle publicitaire est-il challengé d’après vous ? Et si oui, pourquoi ?
Le modèle publicitaire est en effet complètement challengé dans son acceptation classique, c’est-à-dire selon une approche où le support de diffusion se confond avec le média. Mais une nouvelle forme de modèle publicitaire a déjà émergé. Cette dernière se base sur une multiplicité de vecteurs de diffusion pour une même marque. Les réseaux sociaux sont un des multiples canaux de diffusion de contenus à portée des éditeurs et des annonceurs. On peut citer aussi l’e-mail, les sites internet, le podcast, le replay… Ces nouveaux modes de consommation ont complètement réorganisé les stratégies média. Chacun de ces canaux dispose de son propre fonctionnement économique. Ceux qui n’arrivent pas à s’adapter à ces nouvelles réalités pensent que « le modèle publicitaire » est mort. Ils ont tort. Les éditeurs doivent créer des nouvelles manières de faire du média et les annonceurs doivent apprendre à faire vivre leurs marques sur ces nouveaux canaux.
Concrètement comment doivent-ils se prendre d’après vous ?
Il y a deux aspects dont il faut tenir compte : le canal et les données. D’abord, il faut habiter les nouveaux espaces numériques, il faut avoir un site, une application, une communauté sur Facebook, un compte Twitter, sur Snapchat, des vidéos sur YouTube ou la télé connectée, il faut faire de l’emailing, diffuser des podcasts, se positionner sur les assistants vocaux… On voit bien que la diffusion multi-canal est au cœur des nouveaux modes de consommation. D’autre part, il faut interagir avec les audiences avec les bons contenus, qui doivent évidemment devenir protéiformes (courts, longs, écrits, visuels, audio). Aujourd’hui, on raconte des histoires selon une chronologie qui est adaptée à la diffusion sur les nouveaux canaux, on pratique du brand content et moins le slogan publicitaire au sens classique du terme. Enfin les médias ont une connaissance assez fine de leurs audiences et sont en mesure de valoriser leurs services avec la data et proposer des expériences plus adaptées.
Être partout exige des investissements lourds. Comment faire face à toutes ces contraintes alors que les ressources sont largement limitées par l’omniprésence des GAFAM qui monopolisent les budgets publicitaires ?
Il y a ceux qui se disent lésés par les moteurs de recherche, en argumentant que leur production éditoriale n’est pas considérée à sa juste valeur, et il y a ceux qui considèrent Google comme une source importante de trafic leur permettant de générer des ressources considérables. Il y a donc des gagnants et des perdants.
Qui a raison ?
Il n’y a pas qu’une vérité, mais plusieurs modèles évoluent de manière très dynamique. Il y a donc ceux qui jouent le jeu avec les nouvelles règles de consommation et qui réussissent et ceux qui peinent à se transformer. On peut se concentrer sur ceux qui s’en sortent en respectant les règles du jeu. À chaque nouveau canal de diffusion, nous avons observé beaucoup de success stories, des éditeurs qui ont réussi à adopter des modèles très rentables de monétisation parce qu’ils ont eux-mêmes créé une nouvelle forme d’écriture de leurs contenus. Je pense par exemple à aufeminin avec le search, à Webedia avec le brand content ou à Cerise Média avec les réseaux sociaux pour n’en citer que quelques-uns. Quelques phénomènes extrêmes permettent d’éclairer ce débat. Prenons l’exemple des fake news sur Facebook. Les scandales récents au sujet de l’utilisation des données prouvent que les règles du jeu de l’économie des médias ont changé et qu’il va falloir prendre en compte cette nouvelle réalité.
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Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre