Quel bilan un annonceur tire-t-il de son année 2018, et notamment de sa pratique des technologies d’activation publicitaire ? Quel impact a-t-il pu observer sur le résultat de ses campagnes de l’entrée en vigueur du Règlement général de protection de données (RGPD) ? Quels points d’amélioration et tendances pour 2019 ? Xavier Diquet, content et deployment manager à Nissan Europe, répond à nos questions.
2018 : l’année RGPD
X.D. : 2018 restera « l’année RGPD ». Le règlement est arrivé à un moment clé de l’évolution des technologies digitales de communication. Il est de plus entré en vigueur dans un contexte où les fake news sévissaient. Tout cela a contribué à renforcer la prise de conscience des audiences de l’utilisation qui est faite de leurs données personnelles. Pour l’annonceur et l’industrie dans son ensemble, c’est la prise de conscience que le pouvoir est entre les mains des consommateurs. On voit émerger une notion nouvelle, le « marketing de permission » : le consommateur sait qu’il met à disposition de l’industrie une partie de ses données dans l’attente de la valeur que cela peut lui générer en termes de contenu et d’expérience. C’est un échange.
Ad-exchange.fr : Pour vous l’individu est devenu plus exigeant parce qu’il est désormais davantage conscient de l’usage que l’on fait de ses données ?
X.D. : Exactement.
Ad-exchange.fr : Mais est-il vraiment conscient du fait qu’il accède souvent « gratuitement » à des contenus, en réalité en échange de publicité ?
X.D. : Je pense que c’est le début de la prise de conscience. Le niveau de maturité sur ce point varie beaucoup selon le profil des audiences, leurs habitudes de consommation média et leur niveau d’exposition aux informations sur ces questions. Il n’y a pas de réponse valable pour tous. Ce qui est certain est que le RGPD a accéléré cette prise de conscience de manière inédite.
Le règlement donne aux gens un droit de regard. La conséquence pour les annonceurs est une exigence encore plus forte de transparence à la fois sur les technologies utilisées mais également sur le message qu’ils veulent faire passer. L’industrie automobile doit par exemple donner encore plus d’informations sur la performance de ses véhicules, elle doit aider le consommateur à comprendre la complexité des données techniques. Ce besoin de transparence doit être davantage agrémenté d’explications. Cette prise de conscience du consommateur génère également une demande d’authenticité. Nos messages doivent être plus simples et authentiques.
Fake news et grandes plateformes : un besoin de transparence encore plus fort
X.D. : En France comme en Europe, les très grandes plateformes captent 80 % de la valeur des investissements publicitaires, alors qu’elles ne représentent que 20 % de l’inventaire publicitaire disponible. La tendance lourde est par conséquent qu’un nombre très faible d’acteurs capte la majorité de l’investissement digital. Mais si on se souvient de ce qui a été dévoilé cette année en matière de fake news, à l’instar de l’affaire Cambridge Analytica, cela pose de questions sur le choix de l’attribution des budgets médias.
Ad-exchange.fr : Vous êtes en train de m’expliquer qu’à la suite de scandales tels que celui concernant l’entreprise britannique Cambridge Analytica et son utilisation de Facebook, on peut se demander en tant qu’annonceur s’il faut continuer d’investir dans Facebook ?
X.D. : Pas tout à fait. Facebook, Google, YouTube et Instagram offrent un très grand confort à l’annonceur comme à l’utilisateur, et c’est bien le cœur de leur business de nous offrir ces solutions. Je dis simplement que nous avons besoin de transparence sur ce qui est fait de nos investissements média et sur les performances réelles que cela nous apporte. Il faut que tout le monde sache ce que chaque plateforme apporte et délivre réellement. Une initiative comme Digital Ad Trust (DAT) que nous avons vu émerger cette année est dans ce contexte très positive.
Il faut que tout le monde sache ce que chaque plateforme apporte et délivre réellement.
Ad-exchange.fr : DAT ne règle pas le problème du manque de transparence des plateformes, il rassure sur les éditeurs et les régies labélisés.
X.D. : En effet. Ces initiatives répondent au besoin de plus de transparence. C’est une attente qui va devenir de plus en plus forte à l’égard des plateformes. Nous cheminons vers un marketing de précision qui a besoin de mesures et d’indicateurs clés de plus en plus corrélés au business. Nous devons être en mesure de démontrer l’impact des investissements marketing sur les performances commerciales de l’entreprise. C’est la promesse du precision marketing et des outils et plateformes à notre disposition.
Ad-exchange.fr : Vous faites référence au data marketing ?
X.D. : Oui, à la possibilité d’optimiser au mieux nos investissements grâce à la data et à la programmatique. Il s’agit pour nous de connaître nos audiences le mieux possible pour leur servir le contenu le plus optimisé pour générer un impact sur notre business.
De la vidéo et de la vidéo…
X.D. : L’explosion de la consommation de vidéos n’a pas débuté en 2018 mais elle s’est confirmée cette année. Aujourd’hui, la vidéo correspond à 41 % du display, ce qui est très important. Le mobile étant devenu le premier device de consommation, la vidéo mobile est donc un format tout aussi confirmé et dominant. Cela pose un vrai challenge sur la multiplication des formats et des plateformes. Du format traditionnel télé d’il y a une dizaine d’années, on est passé à des dizaines de formats différents voire des centaines si on adopte une démarche DCO. C’est aussi ce qui permet d’être plus pertinent. Cela nous oblige à penser différemment la production de la création, dès l’amont.
La voix et le son
X.D. : La notion d’échange en marketing et en publicité dont je parlais plus haut va devenir encore plus flagrante avec le développement des assistants vocaux, qui vont me semble-t-il exploser. Ces appareils entrent dans l’intimité des gens. Même chose en ce qui concerne la consommation des podcasts. 2018 est une année pionnière en matière d’expérience publicitaire et de brand content sur les podcasts. Il n’y a pas encore d’agence ou d’annonceur qui s’en soit vraiment approprié, mais ce canal prendra de plus en plus de place dans les années à venir.
Si la technologie semble de plus en plus au rendez-vous, ces territoires restent encore assez vierges en termes de création. Beaucoup de questions se posent sur comment amener le message et une valeur ajoutée à ses audiences par le biais de ces canaux.
Deux mots sur l’ad tech…
X.D. : La clé c’est l’intégration, il y a hélas encore beaucoup trop d’acteurs et d’intermédiaires. Tout ce que nous souhaitons et d’avoir une expérience sans friction, ce qui est encore compliqué.
Ad tech: il y a hélas encore beaucoup trop d’acteurs et d’intermédiaires.
Ad-exchange.fr : Le métier d’annonceur est-il devenu compliqué avec le digital et toutes ces technologies ?
X.D. : Notre métier a changé. On a accès à beaucoup plus d’outils et d’informations qu’avant. On gagne, même si on peut perdre en complexité et en compréhension de l’écosystème. L’équation est positive à partir du moment où l’on peut démontrer la performance sur le business. Le marketeur doit désormais démontrer sa valeur d’un point de vue tangible et mesurable, et le digital permet de le faire en étant plus analytique et précis. C’est pour cela que l’on parle de precision marketing. Et cela n’empêche pas – bien au contraire – d’être créatif et de venir avec des solutions nouvelles. Nous ne devons pas être prisonniers de la technologie.
Une dernière chose : le modèle économique de la plupart des annonceurs lui-même se transforme. Nous sommes en train de muter, d’industriel automobile nous devenons progressivement fournisseur de solutions de mobilité et expert énergétique. Par ailleurs, la production de véhicules connectés suppose de réfléchir à l’impact sur notre business de l’utilisation de toute les données qui y seront générées. Tout cela a une influence directe sur notre manière de communiquer.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre