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La course des réseaux sociaux pour retenir leurs audiences (interview F. Nicolon, Kantar Media)

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Kantar Media a étudié les médias sociaux pour en dévoiler les principales tendances en cette nouvelle année. Ces plateformes se trouvent confrontées à la lassitude de leurs audiences eu égard à la collecte de leurs données à leur insu, aux fake news et à l’usage outrancier d’algorithmes. Face à ce ras-le-bol, les médias sociaux développent de nouvelles fonctionnalités afin de promouvoir des interactions sociales plus « légitimes ». Nous faisons le point avec François Nicolon, directeur marketing EMEA de Kantar Media.

Qu’est-ce que l’année 2019 réserve aux médias sociaux ?
François Nicolon, Kantar Media.
François Nicolon, Kantar Media.

Le doute au sujet de la manière dont on collecte et traite les données des utilisateurs dans le digital affecte plus particulièrement les réseaux sociaux. C’est ce que détermine la plupart des tendances que nous avons pu identifier pour cette année. Ce doute a été une nouvelle fois renforcé à la toute fin de l’année 2018 quand l’actualité a dévoilé de nouveaux rebondissements au sujet de l’absence d’opt-in préalable à la collecte de données dans de très importantes plateformes sociales [François Nicolon fait référence aux révélations du New York Times selon lesquelles Facebook a donné accès à Microsoft, Amazon, Sportify et Netflix, entre autres, a beaucoup plus de données sur ses utilisateurs qu’annoncée, lire ici, ndlr.).

La conséquence directe est que les institutions et les consommateurs scrutent de plus en plus l’utilisation qui est faite de leur data. Et ceci entraîne beaucoup de conséquences. En 2019 il faudra surveiller l’évolution de la réglementation encadrant l’usage et le contrôle des données des utilisateurs, car on peut s’interroger si elle ne sera pas renforcée.

L’article du New York Times met l’accent sur l’acteur qui a partagé la donnée mais on pourrait tout aussi mettre l’accent sur ceux qui l’ont utilisée. Les deux côtés suivent la même logique. Quant à l’utilisateur, il aura plus tendance à réagir qu’à accepter ces situations. La preuve est que les initiatives des réseaux sociaux visant à réduire le partage de données fonctionnent très bien.  Twitter par exemple opte désormais par une présentation chronologique du fil d’actualité, sans algorithme, Snapchat également, et cela sera de plus en plus courant. Même si la data reste présente derrière, cela amoindrit son impact.

Votre étude fait part d’une volonté des plateformes de revenir à l’essentiel avec  un accent mis sur la low tech, la désalgorithmisation et de « vraies interactions sociales ». Pouvez-vous nous expliquer cela ?

Les internautes éprouvent une certaine lassitude à l’égard des influenceurs, des interactions forcées et des algorithmes. Les plateformes sociales réagissent à cela de peur de perdre des audiences, à l’instar de ce que font les médias. Elles reviennent à un usage plus centré sur l’utilisateur, elles intègrent des fonctionnalités pour favoriser les « vraies » interaction sociales. C’est la manière qu’elles ont trouvé pour encourager l’audience à rester le plus longtemps possible et à revenir.

Cela veut dire que les interactions sociales ont cessé d’être « vraies » ?

On a observé une certaine dérive en effet, essentiellement due à la manière dont certains utilisateurs eux-mêmes ont détourné ces réseaux pour générer de faux engagements. On a nommé cela le « engagement bait ». Ce sont ces petits posts qui vous demandent de voter en utilisant le bouton de réaction. Ce sont aussi ces publications qui vous invitent à partager pour participer à un concours ou à tagger plusieurs amis. Il n’y a rien de sincère ou de naturel dans ces signes d’engagement. Facebook est parti en guerre contre ces initiatives qui ont eu pour effet d’entraîner une baisse générale de l’engagement sur les posts. Or, quand vous êtes un média, l’engagement de votre audience est au cœur de votre santé. Il est par conséquent très important pour ces plateformes de réagir pour éviter cette lassitude.

C’est ainsi que les algorithmes favorisent de plus en plus les posts natifs, qui traduisent un engagement véritable. On observe également la généralisation du format « stories » lancé par Snapchat. Toutes les plateformes sociales proposent ce format aujourd’hui, même YouTube. C’est un format qui fonctionne et qui plaît aux utilisateurs. On peut également citer les fonctionnalités favorisant la création de groupes ou de communautés. Pinterest sort des tableaux collaboratifs que vous pouvez épingler en groupe pour préparer un projet collectif ou un événement familial. WeChat a repris une fonctionnalité qui vous permet de verser un pourboire à un éditeur, à un influenceur ou à un simple utilisateur dont le contenu est apprécié. Là aussi cela permet de tisser du lien. Toutes ces fonctionnalités sont là pour favoriser de vraies interactions sociales, ce qui correspond à l’ADN de ces réseaux.

2018 est une année où l’on a démontré le rôle des fake news dans les réseaux sociaux et leur pouvoir de nuisance en matière de manipulation des audiences. Est-ce que cela change quelque chose dans la stratégie des marques et dans leur relation avec les plateformes sociales ?

Les marques sont pragmatiques. Elles recherchent un retour sur investissement. Si elles continuent d’y être, c’est que cela fonctionne. En revanche, elles se rendent compte qu’elles sont très tributaires de ces plateformes: un changement d’algorithme peut impacter fortement leur campagne.  Par conséquent, les grands annonceurs tentent de réduire un peu cette dépendance en mettant en place leur propre couche sociale dans le cadre de leur stratégie web. Ils animent ainsi des communautés autour de leurs marques dans des sites sociaux dédiés.

Les annonceurs continuent d’investir lourdement sur les plateformes sociales tout en réclamant plus de transparence sur les mesures…

C’est une question de rapport de forces. Il y a encore beaucoup de progrès à faire en matière de brand safety, de mesure et de véracité de ce que l’on fait sur les réseaux sociaux. Les plateformes sociales savent qu’elles disposent d’atouts très importants pour les marques, à commencer par la puissance de leurs audiences. En même temps, les marques pratiquent les médias historiques, et elles aimeraient avoir une vision complète de la contribution chaque média. En réalité il existe à ce jour très peu de mesure dans le digital qui soit indépendante et normée pour être raccrochée aux mesures des médias historiques.

Un autre souci touche aussi au marketing d’influence, qui en soit est un outil très important. On a observé l’émergence de beaucoup de fraude dans ce domaine, avec notamment l’achat de likes et de followers. Il y a même des influenceurs qui ont inventé des campagnes de publicité sans que la marque n’y soit impliquée ! Beaucoup reste à faire pour promouvoir des bonnes pratiques dans ce domaine.

Pour conclure, quels autres aspects juges-vous important de mentionner ?

Une autre tendance est le recours croissant aux jeux et aux fonctionnalités de divertissement par les plateformes sociales pour augmenter l’engagement des utilisateurs.  C’est une tendance logique, qui fait suite au succès des plateformes dédiées au gaming. Cela prend de l’ampleur et fonctionne très bien.

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre

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