Comment Condé Nast, éditeur réputé par ses marques visant un public très sélect, comme Vogue ou Vanity Fair, aborde-t-il la publicité programmatique? Nous interrogeons Tony Nguyen, directeur du programmatique chez Condé Nast France.
Quelle est la part du programmatique dans vos revenus et activités de régie ?
T. N. L’activité programmatique a commencé il y environ trois ans et demi chez Condé Nast France. Les premières initiatives prises par l’ancienne direction ont été de tester les places de marché mutualisées, comme Audience Square. Mais ils se sont rendu compte que cette option leur a fait plutôt perdre la maîtrise du contact avec l’annonceur. De plus, c’était compliqué de préserver leur image de marque auprès de leurs cibles. Enfin, les eCPM n’étaient pas vraiment satisfaisants… Quand je suis arrivé, notre souhait a été de tout internaliser, partant du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Même si les technologies sont là pour nous aider à vendre, nous devons pouvoir contrôler ce qui se passe. Nous sommes live en programmatique sur notre propre place de marché privative depuis deux ans environ.
Avec quels prestataires travaillez-vous ?
T. N. Nous avons évolué au fur et à mesure des années. Nous sommes depuis deux ans sur un full stack Google Adex, qui est à la fois notre serveur DFP et notre solution SSP. En parallèle, nous avons pris la décision de monter un hub programmatique international au sein de Condé Nast. Nous avons donc migré l’année dernière sur un full stack Google Adex dans le cadre d’un compte Condé Nast global. Cette migration nous permet d’offrir énormément de scale et de permettre à nos annonceurs d’exécuter des deals programmatiques de manière très simplifiée avec un guichet unique, une personne pour l’ensemble des sites en France et à l’international.
Vos annonceurs en France demandent-ils vos publications à l’international ?
T. N. Cela dépend. Nous avons la chance en France d’avoir des annonceurs captifs de l’industrie du luxe, de la mode et de la beauté qui ont besoin de scale à l’international, par exemple pour le lancement d’un parfum ou pour une nouvelle collection de mode. Avec ce hub, nous leur offrons cette possibilité-là de manière complètement simplifiée, avec une structure et un outil uniques et surtout une bonne vitesse d’exécution.
Notre souhait a été de tout internaliser, partant du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même !
Envisagez-vous de participer aussi à d’autres alliances en France ?
T. N. Pour que tous les pays et tous les sites du groupe soient d’équerre dans le cadre de notre hub international, il nous faudra encore quelques années. Il n’est donc pas question pour nous, jusqu’à l’horizon 2020 en tout cas, de mutualiser notre inventaire avec d’autres éditeurs. Ceci étant, nous faisons partie de Gravity.
Cela fait deux ans que vous pilotez votre stratégie programmatique, vous avez donc du recul : qu’est-ce que le programmatique vous apporte ?
T. N. Nous nous sommes adaptés à la demande, il était judicieux de muscler notre offre programmatique et data, qui doivent aller ensemble : désormais nos annonceurs ont la possibilité aussi d’injecter leur propre 1st party data dans le programmatique garanti pour la retrouver sur l’environnement sécurisé, brand safe et luxueux de Condé Nast. On revient donc à une notion de media planning mais avec une sauce data driven portée par l’audience planning et le programmatique, et c’est bien la combinaison de ces éléments qui en font un pari gagnant. Comparé aux ventes en OI à l’ancienne, c’est surtout la fluidité, l’efficience et l’efficacité que nous gagnons qui nous permettent de mieux faire.
Quelle est la partie commercialisée en programmatique ? Avez-vous des inventaires proposés sur les ad exchanges ouverts ?
T. N. Sur le display pur, environ 15 % de nos revenus sont directement issus d’une commercialisation programmatique via notre place de marché privée, où nous opérons essentiellement en deal ID et en programmatique garanti. Notre proportion de deals est d’environ 78 %, avec 22 % en open auction. Nous avons besoin de ce contrôle pour les annonceurs qui viennent enchérir sur notre inventaire. Le programmatique garanti a donc pris énormément d’ampleur chez nous.
Quelle a été évolution de l’eCPM pour la partie commercialisée en programmatique ?
T. N. Notre stratégie de valeur paye car depuis le début de la mise en place du programmatique il y a deux ans et demi, on observe une augmentation de nos eCPM. Cela vient aussi de tout le travail que nous avons fourni en termes d’ergonomie publicitaire, de visibilité et de brand safety. C’est aussi le résultat d’une offre de programmatique garanti qui, comme son nom l’indique, garantit des impressions pour un annonceur sur une période donnée avec un CPM fixe et avec en plus la possibilité de fonctionner sur du 100 % de parts de voix, une prérequis hyper important pour les annonceurs du luxe qui veulent se voir tous seuls sur une page et surtout pas leur concurrent à côté. Cela a nivelé par le haut nos eCPM.
Quelles sont le limites du programmatique ?
T. N. La seule limitation que j’observe est le fait que tous les DSP ne soient pas encore éligibles au programme de programmatique garanti sur Google Adex. Le jour où cela deviendra une norme classique de développement chez chacun des DSP, on aura beaucoup plus de demande et beaucoup plus de facilité à travailler avec certains annonceurs.
Avez-vous déjà observé des réactions de vos lecteurs au RGPD ? Votre base de cookies a-t-elle baissé ?
T. N. Nous n’avons pas observé de changement dans nos recettes. Il est encore tôt pour observer et tirer des conclusions sur les effets du GDPR, mais on suit de très près. Nous pensons que le bassin de cookies va se réduire de manière inéluctable, mais nous analysons cela avec optimisme : cela va raréfier la donnée et, par conséquent, lui donner beaucoup plus de valeur. Condé Nast a toujours eu un positionnement de valeur, c’est une bonne chose au final. La raréfaction va donner beaucoup plus de valeur et de poids aux éditeurs qualitatifs et premium.
Le RGPD va raréfier la donnée et, par conséquent, lui donner beaucoup plus de valeur.
Quelles priorités pour ce deuxième semestre ?
La migration sur un CMS commun à l’international : Vogue et GQ en France migreront sur cette plateforme commune à l’international dès l’automne, en parallèle de nos amis espagnols et italiens. Cela permettra à nos sites et titres d’être complètement globalisés, ils auront exactement le même CMS, les mêmes templates, la même ergonomie de page, les mêmes formats publicitaires partout dans le monde.
Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre