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DOSSIER Publicité TV adressée : Le marché est-il prêt ?

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Si la TV adressée est sur toutes les lèvres, c’est parce qu’elle engendre de nouvelles aspirations chez bon nombre d’acteurs de la publicité, des médias, et des télécommunications. Bousculé par l’avènement de l’OTT, le marché de la TV semble avoir pris la mesure des atouts du digital. Très attendue, la publicité TV adressée se heurte cependant à des freins importants tant sur un plan réglementaire, son obstacle numéro 1, que sur un plan technique ou marché. Ce dernier se prépare à un grand bouleversement et la multiplication des tests effectués ces derniers mois confirme la frénésie ambiante autour de ce sujet.
Mais le marché est-il vraiment prêt pour autant ?

TV CONNECTEE ET TV ADRESSEE : QUELLES OPPORTUNITES ?

La TV connectée : support idéal de la TV adressée

La TV connectée en France, également appelée « Smart TV » par les constructeurs, désigne les télévisions connectables à internet, disposant de leur propre système d’exploitation et qui embarquent des applications ou stores d’applications TV.  Elles sont directement connectées à internet via un réseau wifi ou par le biais d’une connexion filaire.

Sébastien Robin, SpotX.
Sébastien Robin, SpotX.

En France, la plupart du temps comme le rappelle Sébastien Robin, Managing Director de SpotX, on confond télévision connectée (soit éventuellement connectée depuis une box) et télévision connectable (autrement dit la TV connectée) :

« 55% des gens en France utilisent la box internet de leur opérateur pour consommer du contenu TV. Or, aux Etats-Unis ou en Allemagne cela n’existe pas. Ils utilisent leur TV connectée et les menus qui y sont proposés. Ces menus comprennent notamment les applications des acteurs OTT (tels que Netflix, Amazon Prime, voire Molotov ou RMC Sport) . »

Le développement des smart TV peut potentiellement chambouler non pas uniquement la publicité TV mais l’ensemble du marketing en ouvrant de nouvelles opportunités : TV adressée, TV programmatique, cross device, … Un contexte qui favorisera l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché.

Ciblage en télé : une quête du Graal qui toucherait à sa fin

Toute l’attractivité de la publicité TV adressée réside dans ses capacités de ciblage. Elle introduit en effet des perspectives de ciblage inédites et davantage de pertinence en publicité TV qui permettraient à l’ensemble des annonceurs nationaux et régionaux d’optimiser la couverture publicitaire de leurs spots TV et certainement in fine de rationaliser les coûts.

Concrètement, les annonceurs seront en mesure de réaliser des campagnes TV avec un ciblage régional et/ou changer d’échelle grâce à l’exclusion de zones géographiques données, comme cela est réalisé en digital. Ceci est actuellement impossible dans le cadre de la TV traditionnelle pour des questions réglementaires.

Mais les opportunités de segmenter la publicité vont au-delà du seul ciblage géographique. L’utilisation de données fines sur l’appétence à des types de contenus audiovisuels permettrait également de définir des profils en adéquation avec des types d’annonceurs spécifiques. La personnalisation des spots publicitaires serait quant à elle rendue possible avec la diffusion de créations dynamiques qui s’adaptent au profil supposé de l’utilisateur (car on identifie des foyers) et du lieu où il se trouve, grâce aux données de ciblage et notamment à son adresse IP.
Pour une marque automobile qui souhaite annoncer ses portes ouvertes, ceci peut par exemple consister à adresser un message publicitaire personnalisé avec l’adresse du garage le plus proche. Toutefois, comme dans le cadre de la publicité TV linéaire, la personnalisation one-to-one restera impossible puisque les utilisateurs se comptent en termes de foyers.

Il reste cependant envisageable d’identifier les différents profils au sein d’un foyer en croisant les données collectées par les opérateurs de télécommunication sur leurs clients (ex : données shoppers), avec des data provenant de sources externes et les données de consommation TV du foyer (ex : identifier et cibler un homme, une femme ou un enfant, en fonction des contenus consommés et des créneaux horaires détectés pour personnaliser la diffusion et le message).

Les contenus relinéarisés : une opportunité publicitaire pour les constructeurs TV

Généralement propres à l’écosystème de la TV connectée, les contenus relinéarisés sont des contenus créés par des producteurs (ex : Euronews, Melody) et achetés par des sociétés externes aux chaînes TV pour les remettre en ligne à travers une expérience télévisuelle. L’intérêt de reprendre ces contenus est qu’ils permettent de créer de l’inventaire publicitaire et donc d’en tirer des revenus. Les constructeurs TV notamment, peuvent ainsi saisir l’opportunité de monétiser des emplacements sur une nouvelle forme de chaînes accessibles au sein de leur environnement, directement depuis le menu de leurs smart TV (ou TV connectée). C’est le cas de Samsung avec son service TV Plus qui propose à ses utilisateurs des contenus de divertissement ou encore LG.

En France, la consommation de ces chaînes est encore naissante mais de faibles volumes de ces espaces sont tout de mêmes commercialisés et ceci selon les pratiques du digital : en tant que preroll et au CPM, à l’instar de l’instream sur Youtube ou des sites éditeurs.

Les constructeurs TV prennent donc peu à peu conscience qu’ils peuvent aujourd’hui se positionner sur le marché de la publicité TV et notamment de la publicité TV adressée.

Sébastien Robin explique : « Si la publicité TV adressée est légalement autorisée en France, les constructeurs TV pourront eux aussi en tirer parti comme aux Etats-Unis. SpotX est un partenaire de Samsung. Nous travaillons d’ailleurs dans l’optique d’étendre ce partenariat à l’Europe prochainement et d’accéder aux espaces publicitaires de Samsung. »

DES FREINS MAJEURS AU DEVELOPPEMENT DE LA TV ADRESSEE

La complexité d’un écosystème typiquement français

Contrairement à d’autres pays en avance sur ces domaines, la CTV et la TV adressée sont l’objet de multiples confusions sur le marché français. Celles-ci sont en partie dues à un manque d’harmonisation des définitions.
TV adressée, TV adressable, TV segmentée, TV avancée, … Tous ces termes sont utilisés sur le marché pour désigner la TV adressée. Il est donc nécessaire que l’industrie statue sur une terminologie afin de faciliter la compréhension de ce dont il est question.

Il faut dire également que notre écosystème TV reste unique en son genre et les comparaisons ne facilitent pas l’appréhension de ces sujets.

Aux Etats-Unis, les programmes TV sont interrompus 12 à 14 minutes durant lesquelles 2 minutes sont cédées aux opérateurs de télécommunication pour leur permettre de commercialiser ce laps de temps auprès des annonceurs. En outre, le marché de la publicité TV aux US est régional ou local avec des réseaux de chaînes TV locales très puissants. Lors des grands évènements sportifs diffusés au niveau national, un repiquage du signal est effectué au niveau local afin de diffuser de la publicité d’annonceurs locaux.

Un autre point différenciant non négligeable et propre au marché français est lié à la position des opérateurs de télécommunication (SFR, Orange, Bouygues, Free) qui fournissent aux utilisateurs des solutions tripleplay (box internet, TV et téléphone). Dans d’autres pays, les utilisateurs n’allument pas de box pour regarder la TV. Tout ceci crée un biais important.

Par ailleurs, la TV française est très encadrée.

La réglementation : le frein majeur de la publicité TV adressée

La télévision française est encadrée par diverses autorités de régulation telles que l’ARCEP ou encore le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Elle se doit de respecter non seulement les lois mais aussi de nombreuses règles déontologiques. La publicité TV en France doit notamment « être exempte de toute discrimination » selon le CSA , tandis que la loi de 1992 indique que la population doit avoir un accès égal et identique au contenu, y compris lorsqu’il s’agit de publicité.

 Les messages publicitaires doivent être diffusés simultanément dans l’ensemble de la zone de service.  (Article 13 Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié, relatif à la publicité, au parrainage et au téléachat)

Le décrochage publicitaire consistant à diffuser des annonces spécifiques uniquement sur une zone géographique donnée y est donc interdit. En TV nationale, l’ensemble de la population doit accéder au même contenu au même moment. Ceci exclut les services de rattrapages replay ou la catch up, car le remplacement d’un spot publicitaire par un autre s’effectue selon des procédés digitaux. Il ne s’agit donc pas d’agir sur le flux linéaire, chaque utilisateur regarde ce qu’il souhaite ; la loi ne s’applique donc pas.

Il existe d’autre part un flou juridique autour des contenus relinéarisés : les règles imposées par le CSA aux chaînes de TV françaises devront-elles s’appliquer pour ces chaines qui n’en sont pas vraiment, puisqu’il s’agit simplement de contenus repris et restitués sous une expérience télévisuelle ?

Globalement, la réglementation est un obstacle majeur pour la publicité TV adressée mais les choses commencent à changer.

En outre, parallèlement à la législation, la consommation doit également évoluer pour lui offrir un terrain favorable. Aujourd’hui, les foyers payent généralement deux réseaux : la TNT et les télécoms via les box. Si la consommation de la TNT est certainement moins élevée à Paris, la population française la regarde globalement davantage pour diverses raisons (ex : débit internet trop faible). Selon l’ARCEP, le taux de pénétration au sein des foyers pour la télévision par IP (IPTV) était de 55% en fin 2017. La part restante correspond principalement à la consommation de la TNT.

Des freins techniques non négligeables

En outre, la TV adressée implique aussi d’adapter les infrastructures afin de gérer les forts volumes de requêtes et la démultiplication du nombre de segments de données effectués à un instant T.
Il est impératif que le passage à la segmentation se fasse sans nuire à l’expérience utilisateur qui en télévision est toujours restée à un niveau premium : une diffusion publicitaire extrêmement fluide au sein du flux linéaire et une qualité sonore continue, qui s’expliquent par l’importance des processus et des étapes de validation impliqués dans la préparation de la diffusion des spots.

Il faudra donc valider que l’ensemble des couches technologiques impliquées dans la diffusion de la publicité TV segmentée (ad server, DMP, etc.) soient opérationnelles et en capacité d’absorber les millions de requêtes qui seront envoyées en simultané vers les mêmes serveurs publicitaires et incluant une multitude de sous-segments et d’informations à traiter.
Les solutions technologiques existent déjà mais il reste des infrastructures à mettre en place.

UN MARCHE DANS LES STARTING-BLOCKS

Une offre TV qui progresse

L’avènement de l’OTT a créé un nouveau contexte concurrentiel sur le marché de la TV. Les acteurs de la publicité TV traditionnelle nationale sont aujourd’hui bousculés par des concurrents internationaux digitaux. Désormais confrontés au temps réel, au ciblage, à l’interactivité et à la connectivité, les acteurs doivent s’adapter et évoluer.

D’ailleurs, un vent d’innovation semble actuellement souffler sur l’écosystème TV. Les dernières actualités le démontrent : en mai dernier Altice a racheté Molotov, l’application et plate-forme de visionnage en ligne de contenus TV gratuits et payants, et mis à disposition l’application RMC Sport sur les téléviseurs connectés LG en février 2019. Des acteurs historiques de la TV nationale française ont également développé des offres destinées à intégrer de la data aux plans média TV : France TV, M6 et TF1 avec leur offre commune SIGMA ou encore Canal Plus qui en éditant et distribuant ses chaînes à destination de ses abonnés via des box connectées dispose d’une maîtrise de sa distribution mais aussi d’une connaissance client puissante qui lui permet de proposer une optimisation des écrans publicitaires (pour l’instant exclusivement en broadcast). Rakuten TV a également passé des accords avec les constructeurs TV Samsung, LG, Philips et Hisense afin de rendre son offre disponible sur les téléviseurs connectés.

Une multiplication des tests

Alors que sur un plan légal, la publicité TV adressée reste interdite, le CSA autorise toutefois de mener des tests techniques.
Pour évaluer sa faisabilité technique (identifier à quel moment la publicité commence et s’arrête, tester la qualité de l’expérience utilisateur, etc.) mais aussi vérifier que l’écosystème est prêt à accueillir cette transformation, les acteurs effectuent jusqu’à maintenant des tests au sein de deux types d’environnement : celui des opérateurs de télécommunication et celui de la TNT.

Au mois de décembre 2018, France Télévisions a réalisé des tests de TV segmentée (ou adressée) avec TéléDiffusion de France (TDF), l’opérateur fournissant les infrastructures audiovisuelles qui relaie notamment les réseaux TV et la TNT. Effectués en laboratoire, ceux-ci ont consisté à faire des simulations destinées à valider techniquement la diffusion de publicités ciblées et donc différenciées en fonction de la zone géographique où se situe les utilisateurs (ex : un utilisateur à Paris reçoit le spot A tandis qu’un autre à Marseille reçoit un spot B).

M6, La Poste et Starcom ont quant à eux franchi une étape clé en réalisant un test en live, s’appuyant sur la technologie de SpotX, concurrente de la solution de TDF. Ce test de publicité adressée sur des segments d’audience a consisté à un remplacement de spot vidéo sur la TV en direct et à l’échelle nationale.

Publicité TV adressée

Une évolution de la législation de la TV adressée

Les sujets actuellement traités par l’administration sont encourageants.
En effet, le rapport Bergé (octobre 2018) pour « une nouvelle régulation de la communication à l’ère numérique » et l’autorité de la concurrence préconisent de réformer la TV et d’autoriser la TV adressée tandis que les régies TV sont prêtes à s’allier avec les médias locaux.

De plus, le Ministère de la Culture, qui couvre l’univers de la TV, est en train de préparer un projet de loi appelé « loi de refonte de l’audiovisuel public » qui se divisera en trois volets : l’assouplissement et la modernisation de la régulation ; le financement de la création compte tenu de l’arrivée de nouveaux acteurs ; et la gouvernance pour satisfaire au mieux les missions de service public. Il devrait a priori intégrer la refonte du fonctionnement de France Télévisions / France Info et traiter de sujets tels que l’autorisation de faire de la publicité segmentée ou encore l’ouverture à certains secteurs jusque-là interdits en publicité TV. Ce projet de loi sera présenté au gouvernement à l’été 2019. L’ARCEP a d’ores et déjà donné son accord pour cette réforme, l’autorité de la régulation de la concurrence y est elle aussi favorable.

Pour une véritable avancée, il faudra néanmoins que cette nouvelle loi soit portée à l’Assemblée Nationale pour discussion (probablement « à l’automne ou au début 2020 » selon le ministre de la Culture Franck Riester). Le texte devrait donc être prêt suite à un vote parlementaire de la réforme au second semestre 2020.

Dès lors que cette loi sera mise en application, le déploiement de la publicité TV adressée s’effectuera par étapes, selon l’accord des chaînes TV et des opérateurs de télécommunication.
Dans un premier temps :

–  la substitution des spots publicitaires se fera hors prime time et hors des évènements en live (matchs de foot, émissions de divertissement, etc.)
– le remplacement sera réalisé sur un seul et unique spot publicitaire
– le premier spot du tunnel publicitaire ne fera pas l’objet de remplacements.

Malgré des freins a priori insurmontables devant l’ampleur de l’encadrement de la publicité TV ou des défis techniques que représentent le déploiement de la publicité TV adressée, il semblerait que celle-ci soit plus que jamais envisageable. L’administration, les acteurs TV et les solutions technologiques semblent prêts à relever le challenge d’une publicité ciblée en télévision qui mêle data, respect du RGPD et de l’expérience utilisateur.
La publicité TV adressée serait sur le point d’offrir plus de pertinence aux utilisateurs mais aussi d’ouvrir des perspectives inédites à de nouveaux entrants, toujours sous réserve qu’elle devienne légalement autorisée. La mesurabilité des performances pressentie comme un facteur clé de succès dans ce nouvel environnement devra toutefois être rendue possible afin de permettre les optimisations et de tirer de la publicité adressée tous les avantages du digital. Cependant, la balle est dans un premier temps dans le camp des autorités.

Dossier constitué par Stéphanie Silo

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