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Publicité personnalisée : l’industrie s’est-elle trompée ? (interview F. Nicolon, Kantar)

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Kantar  a constaté que 54 % de 5 000 consommateurs connectés dans cinq pays refusent d’être ciblés en fonction de leurs activités en ligne (étude Dimension, 2019). En France, ils seraient 61 % à le refuser. Or, le ciblage est le préalable de la publicité personnalisée, stratégie au cœur de la plupart des dispositifs médias adoptés aujourd’hui par les agences et les annonceurs. De lors, peut-on conclure que l’industrie s’est trompée en privilégiant cette  démarche ? François Nicolon, directeur marketing  de Kantar division média, répond à nos questions et nous livre son analyse.

L’industrie s’est-elle trompée en misant gros sur la personnalisation ?
Francois Nicolon, Kantar.
Francois Nicolon, Kantar. © David Lebrun.

L’étude Dimension établit en effet un rejet très clair du ciblage basé sur sa navigation internet. Mais en même temps, elle montre que la moitié des répondants apprécient un message qui corresponde à leurs centres d’intérêt. La contradiction est conséquente : on n’aime pas être ciblé, mais on apprécie le message qui correspond à ses intérêts.

Il est important de préciser que l’étude Dimension concerne une population de consommateurs connectés. Ces derniers bénéficient d’au moins deux accès à internet. Ce n’est donc pas une étude représentative de toute la population.  Cette précision est importante. En se concentrant sur des consommateurs plus connectés que la moyenne des populations, cette étude cherche à comprendre comment les pratiques pourront évoluer les prochaines années.

Vous indiquez que le ciblage excessif est un danger pour l’industrie publicitaire. Qu’entendez-vous par ciblage excessif ?

L’industrie est sans doute arrivée à un niveau excessif de ciblage. Nous le constatons de quatre manières. Tout d’abord, l’industrie consacre beaucoup trop de temps, d’énergie et de moyens à la data. Le souci est que cela se fait au détriment de la créativité et de l’émotion. Or, ces deux éléments sont essentiels pour que le message soit accepté facilement par le consommateur. C’est sur le digital que la publicité est le moins bien acceptée.

Deuxième constat : dans certaines campagnes, le ciblage est si granulaire qu’il donne lieu à des segments beaucoup trop petits. Cela implique des logiques d’activation de court terme. Or, l’entonnoir de conversion suppose un accompagnement également sur le moyen et sur le long terme. Il faut pouvoir planter la graine puis l’arroser avec différents points de contact dans le temps, et ce jusqu’à la décision d’achat. En se concentrant sur le court terme, la marque perd en notoriété.

L’industrie est sans doute arrivée à un niveau excessif de ciblage.

Quel est le troisième aspect de ce ciblage excessif ?

On a tendance aujourd’hui à beaucoup trop se focaliser sur le dernier point de contact précédant une conversion ou un acte d’achat. Ce faisant, on néglige tous les autres points de contact qui ont contribué à la décision d’achat. Les processus de conviction diffèrent énormément d’une catégorie de produits à une autre. On sera parfois stimulé par une campagne online, parfois par l’offline, souvent par les deux. Il faut en tenir compte.

Il y a enfin la question de la répétition, nécessaire à la communication mais qu’il faut savoir plafonner. Même si des progrès ont été accomplis, on répète toujours beaucoup trop les messages. C’est ce qui interpelle et agace le plus les consommateurs. Par conséquent, il faut retravailler la répétition en multicanal, en enrichissant sa campagne du croisement entre différents canaux online et offline. Il faut également mêler du paid et du earned pour construire la répétition sans pour autant marteler toujours le même message. Enfin, il est vraiment très important de ne pas traiter le digital en silo. Il convient de l’intégrer à l’ensemble des autres canaux afin de les faire tous converger vers le même objectif business de la marque.

 L’industrie consacre beaucoup trop de temps, d’énergie et de moyens à la data au détriment de la créativité et de l’émotion.

Que pensez-vous de la maxime « le bon message à la bonne personne au bon moment » ? L’industrie parvient-elle vraiment à la mettre en place ?

Cette maxime plaît aux consommateurs, ils sont en demande de cela. Mais dans la pratique on n’arrive toujours pas au bon moment. Même dans des situations aussi simples que celle consistant à cesser de solliciter un consommateur qui a acheté le produit, l’industrie n’y arrive pas vraiment. C’est pourtant contre-productif.

Le point de départ doit être le client. S’il le vit mal, c’est qu’on n’est pas bon. Il existe aujourd’hui de nombreux canaux de communication qui permettent d’établir un dialogue intéressant entre les utilisateurs et les marques. Hélas, beaucoup trop de campagnes sont encore pensées de manière à être imposées aux consommateurs.

Quel est votre avis sur la pertinence du drive to store, basés sur la géolocalisation et les centres d’intérêt ? Les marques doivent-elles l’adopter sans crainte ?

Le drive to store est sans doute une avancée intéressante des techniques de marketing. Mais il y a une condition : il faut se mettre à la place du consommateur. Ce n’est pas parce que je passe à côté d’une boutique que j’ai envie d’y entrer. La campagne drive to store doit apporter un bénéfice tangible au consommateur. Cela peut être une offre spéciale significative ou la reconnaissance que c’est un consommateur de mon CRM. Il faut qu’il y ait un côté « gratuit » dans le message, fruit d’une stratégie qui cherche à nourrir la relation avec le consommateur. Autrement ce sera vécu comme une intrusion par ce dernier. N’oublions pas que le téléphone est son récepteur le plus personnel, le plus intime.

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre

 

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