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« Nous commençons à prendre conscience qu’une régulation devient nécessaire » (suite de l’interview de J. Braun, RhythmOne)

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Suite de l’interview de Julien Braun,  directeur général de RhythmOne en France, au sujet des nouveaux modèles économiques pour les éditeurs dans un contexte où la publicité est challengée. Pour lire la première partie, cliquez ici.

Le gâteau n’est pas extensible, et chaque année la part des GAFAM augmente. Où se trouverait l’équilibre ?

Julien Braun, RhythmOne.
Julien Braun, RhythmOne.

Il est clair que d’un point de vue macroéconomique, l’écosystème publicitaire est biaisé par les positions dominantes de deux voire trois acteurs majeurs. Ceci tient au fait que l’économie des données est une économie de monopole à forte externalité positive (plus vous avez de données, plus vos données sont pertinentes et plus vous réussissez à agréger des données). Mais cela se régule. Faut-il séparer les technologies d’ad serving de leurs médias et de leurs data ? Faut-il interdire aux sociétés d’ad tech de collecter de la data pour le compte des médias ? Faut-il taxer les plateformes ? La réponse n’a rien d’évident. L’apparition de technologies de type blockchain montre une prise de conscience et l’émergence de solutions d’un type nouveau.

Quelle serait la solution d’après vous ?

J’estime qu’un certain nombre de principes d’équité doivent être observés. Tout d’abord, il faut que les outils de mesure d’audiences et de vérification de la qualité publicitaire ainsi que toutes les technologies de routage publicitaire soient indépendants des médias. Aujourd’hui, Doubleclick et Google sont une seule et unique plateforme, il leur a été facile de transposer à l’ensemble de l’écosystème la position dominante dont ils jouissent sur le search et la vidéo. Google ça ressemble beaucoup à de la vente liée à tous les étages ! Sauf que peu de gens maîtrisent les subtilités techniques pour l’expliquer, et ont encore moins un intérêt à s’y opposer, tandis que beaucoup apprécient la qualité du service tout en un. Il faut changer cela. D’autre part, il faut s’interroger sur la responsabilité des plateformes à l’égard du contenu qu’elles diffusent. Il y a une certaine perversité dans ce marché qui obéit à deux poids et deux mesures : quelles que soient les crises, Google et Facebook se dédouanent toujours, tandis que, quel que soit le problème, les éditeurs de contenus sont toujours au banc des accusés et en subissent les conséquences économiques. Le problème de l’équilibre reste entier.

Pensons maintenant aux lecteurs/consommateurs. Pensez-vous que le ras-le-bol de la publicité digitale est défendable ?

C’est une question d’usage. Si la publicité vous embête sur un site web, alors il faut payer un abonnement ou installer un ad blocker. Sur le marché de la musique, il a fallu une bonne vingtaine d’années jusqu’à ce que les équilibres soient dessinés autour des plateformes de streaming et du modèle par abonnement. On vit la même chose dans la chaîne de distribution des médias : certains acteurs ont réussi avec le modèle de l’abonnement, d’autres ne peuvent pas se le permettre. Certains sont dans une logique de très forte valeur ajoutée, alors que d’autres se basent plutôt sur la taille du trafic. Pour les premiers, on a l’abonnement, pour les seconds, la pub. Le souci des médias gratuits est qu’ils peuvent tomber dans le piège de devoir faire du buzz plutôt que de générer du vrai contenu. Placé au milieu, le lecteur n’est pas complètement naïf. Il voit à la fois l’intérêt et les dangers de la data : d’un côté, grâce à ses données, on lui propose un contenu en affinité avec ce qu’il apprécie consommer, de l’autre on l’enferme dans ses convictions au lieu de l’ouvrir à la contradiction. Cette fragmentation est contraire à la logique de la publicité. La personnalisation est en train de casser l’équilibre entre segmentation et rassemblement pourtant nécessaire aux marques. Je pense que le ras-le-bol de Facebook est symptomatique de la segmentation poussée à l’extrême… Le nombrilisme narcissique est un comportement universel mais pas vraiment une valeur sociale souhaitable, il est par conséquent attaqué.

La publicité personnalisée grâce à l’usage des données des internautes n’est-elle pas au final une manière d’appliquer au web les même principes publicitaires de Facebook pourtant si critiqués ?

Oui et non. Des grandes marques extrêmement fédératrices incarnent beaucoup de valeurs et ne souhaitent pas top personnaliser. D’autres ont besoin de cibler parce que leur surface médiatique est restreinte. Certaines marques ont même réussi à devenir des médias sur les problématiques du quotidien. Il faut rassembler pour émerger et personnaliser pour générer des ventes.

Pour conclure, toujours en tenant compte de l’omniprésence des GAFAM et des challenges imposés par le numérique, sommes-nous au bout du rouleau ?

Non. Nous commençons à prendre conscience qu’une régulation devient nécessaire, parce que ce que l’on observe est très loin d’être satisfaisant. Pour l’instant hélas, on fait de mauvais choix économiques et sociétaux : Google lance un fond de soutien à la presse, Facebook finance la formation des jeunes de banlieue… Cela s’appelle de l’influence et la clé de répartition ressemble fortement à une stratégie marketing. La collecte des données par les GAFA et leur usage est devenue une vraie question de société. C’est un état de fait. Il faut aussi tenir compte de la valeur que ces ensembles génèrent et de leurs contreparties, voire des préjudices qu’ils peuvent causer. Il est indiscutable que les GAFA génèrent de la valeur et des gains d’efficacité pour les annonceurs, mais rien de cela n’est gratuit : ils ont un impact néfaste sur le fonctionnement de la société qu’il s’agisse de la socialisation des jeunes ou de la manipulation des élections. Les dernières déclarations du Président américain montre que le problème n’est pour une fois pas que franco-français. Reste à savoir si la valeur qu’ils génèrent est supérieure aux dégâts qu’ils sont en train de causer. La commodité des GAFA est-elle en train de devenir tyrannie ? Il me semble que nous arrivons à un point de bascule qui n’est pas forcément le même à Washington, à Beijing ou à Paris car nos valeurs sociales ne sont pas les mêmes.

Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre

 

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