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« La second price auction est une porte ouverte à toutes les dérives » (P. Framezelle, Adverline)

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Real time bidding.

Il est un défenseur convaincu de la logique du first price pour la constitution des enchères dans les SSP, tout comme de l’essor du header bidding, une technique récente mais qui s’est généralisée, qui permet de mettre en concurrence les différentes plateformes de vente autour d’une même impression. Philippe Framezelle, directeur de la régie Adverline qui appartient à Mediapost Communication  (filiale du groupe La Poste) et qui regroupe 80 sites externes vendus en exclusivité (en gré à gré ou en programmatique à travers une place de marché privée Theplacetobid ) nous explique pourquoi certaines pratiques opaques du marché devraient avoir leurs jours comptés.

Vous avez un regard critique sur l’état du marché programmatique en France, notamment sur les pratiques des plateformes technologiques au service des éditeurs. Qu’est-ce qui ne va pas?

Philippe Framezelle, Adverline
Philippe Framezelle, Adverline.

Le marché évolue, mais certaines pratiques opaques persistent. Nous avons constaté en menant des tests trois types de pratiques peu transparentes de certaines plateformes. Tout d’abord, certaines plateformes supply side (SSP) ont pu historiquement faire payer des commissions aux acheteurs sans que ce soit clairement mentionné dans les contrats qu’elles signent avec les éditeurs ou les régies. Ensuite, certaines plateformes d’achat (DSP) appliquent une marge préventive dans le prix d’achat, afin de se prémunir contre d’éventuels écarts statistiques. Enfin, certaines SSP pratiquent ce que l’on nomme des « soft floors » qui sont des prix planchers intermédiaires entre la première et la deuxième enchère et dont personne ne sait exactement comment ils sont calculés.

Ces prix planchers intermédiaires ne seraient-ils pas une manière de migrer vers une logique de modèle d’enchères au premier prix? D’ailleurs quel est votre avis sur le modèle de la first price auction? Étant une régie, je suppose que vous y êtes favorable?

Notre marché était jusqu’à présent dominé par la logique de la second price auction qui à mon sens est une porte ouverte à toutes les dérives, ne serait-ce que par le manque de lisibilité des algorithmes des plateformes. Si tout le monde adopte le principe du first price, il n’y aura plus de distorsions des prix. Et c’est d’ailleurs la tendance qui semble se dessiner, avec Appnexus et Index qui le proposent déjà et Rubicon qui le fera sans doute prochainement [une sorte de transition dans ce sens est en effet confirmée pour être mise en place dès janvier, voir ici, ndr.]. Quelqu’un qui enchérira 10 payera 10. Les enchères gagneront en transparence et ce sera beaucoup plus sain pour le marché. L’adoption du header bidding et du first price viennent justement assainir ces pratiques opaques que nous avons évoquées plus haut. Mais il faudra que tout le monde s’y mette.

Pouvez-vous me donner des exemples des inconvénients du système de second price?

Un exemple classique: pour être sûrs de remporter une enchère, des retargeteurs offraient 10, 100 fois leur valeur tout en sachant qu’au final ils ne payeraient pas cher. Avec le first price, cette technique ne sera plus possible. Il serait d’ailleurs  bien que l’on se rapproche des règles utilisées dans les marchés boursiers. Quand l’investisseur achète en bourse, il connaît le cours des actions qui l’intéressent, il a cette visibilité-là.  La complexité de notre marché est que l’on enchérit sans prix affiché. Il y a donc des progrès à faire.

header biddingMais  comment réussir à prendre en compte la complexité des impressions dont la valeur évolue beaucoup en fonction de la data dont l’acheteur dispose?

Oui c’est vrai que cette complexité est réelle. Mais il faudrait qu’on puisse comprendre pourquoi on gagne ou on perd: une raison technologique ou bien liée à la stratégie des enchères? Certaines plateformes offrent des analyses a posteriori, avec une structure détaillée des enchères ce qui permet de comprendre ce qui s’est réellement passé. Cela devrait être généralisé pour permettre aux acheteurs de réorienter leurs stratégies.

La complexité de notre marché est que l’on enchérit sans prix affiché. Il y a donc des progrès à faire.

Les acheteurs ne seront certainement pas tous du même avis que vous. Déjà le header bidding aurait généré beaucoup de demandes supplémentaires pour eux à traiter…

Je ne nie pas la complexité du first price pour les acheteurs, d’autant qu’ils sont habitués au second price. Il faudra que le marché change sa stratégie d’achat. Il lui faudra mieux connaître la valeur de l’inventaire pour ne pas enchérir trop haut. On constate aussi que les tuyaux ne fonctionnent pas de la même manière selon que l’on achète avec tel ou tel DSP et ce n’est pas qu’une question d’intégration. Le temps de réponse des différents SSP n’est pas équivalent, il y en a qui répondent plus vite que d’autres. De plus, l’avènement du header bidding a engendré des coûts de serveur énormes pour les DSP qui ont été confrontés à un nombre d’appels croissant suite à la mise en concurrence de plusieurs SSP sur une même impression. Pour éviter une baisse de leur rentabilité, certains acteurs se sont mis à filtrer les impressions qu’ils acceptent, donnant la priorité à certains SSP mais pas à tous. Les tuyaux acheteurs font ainsi des arbitrages, et ce n’est pas tout: les SSP aussi auront tendance à envoyer aux DSP uniquement des impressions à plus forte probabilité d’achat. Tout cela mis ensemble fait qu’on manque de transparence: des critères opaques servent à décider de ces tris, ce ne sont pas des indications qu’on nous donne en amont.

En cette année d’entrée en vigueur du Règlement européen de protection de données (RGPD), attendez-vous à une basse du volume d’impressions disponibles ou en tout cas de données disponibles pour l’achat d’impressions, bref un impact négatif sur le marché?

Ce règlement implique plus de risques que d’opportunités, mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions.

 

Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre

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